Une expérience unique en France : la prison de Neuvic en Dordogne accueille depuis bientôt deux ans une unité de réhabilitation pour usagers de drogues avec des résultats encourageants. Les objectifs sont bien sûr axés sur la prise en charge de l’addiction, mais doivent également prévoir la récidive et favoriser la réinsertion.
L’Unité de réhabilitation pour usagers de drogues (Urud) est une petite structure de seize places installée au dernier étage de la prison, dans une aile isolée du reste de la détention ordinaire de façon à favoriser leur immersion avec un programme adapté.
« On se lève à 7 heures, on fait notre lit, on gère nous-mêmes la distribution des repas, le ménage », énumère un prisonnier arrivé à l’Unité il y a un mois, à sa demande. Son rendez-vous préféré reste « le morning ». « La réunion du matin, où l’on peut exprimer nos émotions, dire comment on se sent », précise-t-il.
« Que ce soit la toxicomanie, l’alcoolisme ou l’addiction aux jeux, ces problématiques étaient surreprésentées, il fallait trouver une solution adaptée. On s’est inspiré des communautés thérapeutiques qui existent à l’extérieur pour proposer un nouveau modèle de prise en charge », explique Hélène Chevalet, responsable de l’unité exécution des peines à la Direction interrégionale des services pénitentiaires.
La solidarité entre détenus est au cœur du programme. « Les jours où ça ne va pas, on se soutient, pour pas qu’un maillon de la chaîne casse, parce qu’on avance ensemble », ajoute un autre pensionnaire de l’Urud, qui travaille dans un atelier rémunéré au sein de la prison.
Un parcours très balisé
Cette unité, qui dispose d’un accompagnement thérapeutique et pluridisciplinaire, accueille des personnes en grande difficulté avec les addictions, pour une durée de six mois. Les toxicomanes sont intégrés sur l’unique base du volontariat et s’engagent dans une démarche de soins, « sur la base d’une dynamique communautaire », précise la direction de l’administration pénitentiaire. Chaque jour, les détenus participent notamment à des groupes de parole. « Ils discutent de tout ce qui les a amenés au passage à l’acte, il y a un vrai travail sur l’addiction », explique Sandrine Charrier, directrice du service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) du centre de détention de Neuvic.
Dans la petite pièce, les règles sont inscrites en feutres de couleur. « Pas de trafic, ne pas consommer, respecter le temps de parole de l’autre ». L’espace collectif de médiation accueille des ateliers d’écriture, d’improvisation, de lecture.
C’est aussi là que se réunit chaque semaine l’équipe pluridisciplinaire, composée d’un médecin addictologue, d’une psychologue, d’éducateurs et d’agents pénitentiaires pour rencontrer les détenus. « Il y a également une infirmière, des éducateurs spécialisés et des surveillants qui sont présents quotidiennement dans l’unité », précise Sandrine Charrier.
C’est elle qui évaluera la progression du détenu. « Lors de son passage à l’Urud, il devra franchir trois phases pour soigner son addiction, se responsabiliser, puis préparer sa sortie », détaille Virginie Durant, conseillère en insertion et probation et référente de cette structure inédite.
Lorsque la durée d’incarcération se poursuit, les détenus peuvent partir dans le bâtiment C, celui du module « respect ». Ils y signent un contrat : plus de responsabilités contre une plus grande liberté. « C’est la suite logique de leur parcours, car on leur demande, là aussi, de s’impliquer davantage », complète Virginie Durant.
Pour elle, ces deux unités ont apporté une cohésion au sein de la prison. Gregory Dapvril, responsable du module respect, confirme. « Dans ces deux unités, les agents sont volontaires, on y a un rôle d’éducateurs en plus d’être surveillants, c’est beaucoup plus gratifiant, on découvre les détenus autrement », souligne-t-il. « Tandis que certains détenus les surnommaient les porte-clés, leur regard a changé », ajoute la conseillère en insertion et probation.
74 détenus acceuillis
Actuellement, 12 détenus sont incarcérés dans ce quartier et, en tout, l’unité a accueilli 74 personnes depuis son ouverture en septembre 2017. Tous n’ont cependant pas effectué les six mois complets prévus par le dispositif. Certains, peu enclins à la vie en communauté, ne supportent pas le mode de vie de l’URUD ; d’autres sont parfois exclus pour mauvaise conduite et certains ont aussi bénéficié d’un aménagement de peine. Mais, pour ceux qui vont au bout des six mois, un important travail est mené quant à leur réintégration dans la détention classique.
Des risques en réduction
Tous les détenus ne font pas preuve d’une complète abstinence, leur consommation est néanmoins différente. « Il y a, bien sûr, des produits qu’ils parviennent à obtenir en détention, mais, généralement, le groupe se régule lui-même et ces éléments sont exclus, car ce n’est pas le but de ce dispositif et ils l’ont bien compris », assure Sandrine Charrier.
« Si certains continuent à se procurer de la drogue, c’est en se fournissant comme ils le feraient en détention classique, le centre de détention ne fournit aucun produit stupéfiant, comme ça pourrait être le cas dans une salle de shoot », précise néanmoins Éric Berthomieu, chef d’établissement de Neuvic.
Ce dernier ajoute que les trafics en prison concernent plus les drogues douces que les drogues dites « dures », comme l’héroïne par exemple. « Mais il arrive souvent que certains remettent leur consommation aux éducateurs. Le travail au sein de l’URUD permet à beaucoup d’entre eux de se sevrer rapidement », explique Éric Berthomieu
Les perspectives
L’unité de réhabilitation est essentiellement financée par la Mildeca (la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives). L’agence régionale de santé a apporté des fonds concernant la partie soins. Dans ce projet, le service pénitentiaire d’insertion et de probation tient également un rôle majeur compte tenu de son lien direct avec les magistrats sur les projets d’aménagement de peine.
] A l’occasion de sa visite à Neuvic, fin juillet 2019, en vue d’une possible généralisation dans d’autres centres de détention français, la ministre de la Justice Nicole Belloubet a annoncé vouloir adapter les modes de détention au profil des personnes et à leur parcours de peine.« Il serait temps, pointe Thierry Dumonteil, représentant FO au centre de détention de Neuvic. Il n’y a pas eu d’agression verbale ou physique dans le bâtiment C depuis onze mois et l’absentéisme des personnels a considérablement diminué. »
Sources : Le Parisien & Le Point