Gérard Laverdure

Témoignage de Gérard Laverdure,
coordonnateur du Centre de jour, septembre 2018

C’est tout un défi de se réinsérer dans la société quand on a passé des années, voire des décennies en prisonSouvent les liens familiaux ont été coupés, les amis ont disparu et on se retrouve seul. Il arrive même que des problèmes de santé physique et mentale viennent s’ajouter à la stigmatisation sociale. Oui, le regard des autres sur les ex-détenus comme sur les pauvres et les étrangers, peut tuer. Difficile alors de trouver un emploi et un logement, encore plus de retrouver sa dignité, la confiance en soi et le sens de sa vie. La déprime se tient à la porte et les idées noires s’infiltrent dans l’âme. Qui se soucie de moi?

La résidence René Gagnon 

C’est pour répondre à ces besoins que René Gagnon, aumônier catholique dans les pénitenciers fédéraux du Canada (condamnation de 2 ans et plus), a mis sur pied un Centre de jour et une résidence pouvant accueillir 8 gars, il y a une douzaine d’années, dans un presbytère inutilisé (paroisse Ste-Louise de Marillac dans l’est de Montréal).

Les chambres sont réparties sur 2 étages avec les services d’un appartement ordinaire : cuisinière, frigo, laveuse-sécheuse, téléphone et télé, salle de bain et salon. Chacun a sa chambre personnelle et participe aux tâches d’entretien.

Le prix de location qui comprend tous les services est très faible (390$/mois) comparé au marché locatif montréalais (400$ à 500$/mois pour une chambre sans services). Cela permet aux gars de consolider leurs finances et leur confiance en eux, de faire des démarches pour trouver de l’emploi, un logement et se refaire un réseau social. Ils peuvent demeurer à la résidence tant qu’ils n’ont pas terminé la totalité de leur peine (1), ce qui peut aller de quelques mois à quelques années.

Un responsable de l’Aumônerie communautaire de Montréal (ACM) assure un suivi par des visites régulières.

Le Centre de jour René Gagnon

Le Centre de jour, situé au sous-sol du presbytère, veut offrir aux détenus en transition dans des Centres Correctionnels Communautaires (CCC) situés dans la ville de Montréal (2) et aux ex-détenus un endroit accueillant où ils pourront apprendre à resocialiser, être entendus sans jugement, à retrouver leur dignité, la joie de vivre et l’espoir, à approfondir leur foi par les échanges, la prière et des célébrations à l’occasion de Pâques et de Noël.

Le Centre est ouvert 2 jours par semaine, les lundi et mercredi de 9h à 15h. En moyenne une trentaine de gars fréquentent le centre chaque mois à raison d’une quinzaine chacun des deux jours. Un bon repas, substantiel, est servi gratuitement le midi, préparé par d’ex-détenus. C’est une façon de leur exprimer l’importance qu’ils ont pour nous car la plupart n’ont pas les ressources pour se nourrir convenablement ou ne savent pas cuisiner. C’est aussi l’occasion de fêter les anniversaires. Plusieurs repartent même avec des restes de repas. Deux des huit bénévoles réguliers apportent des plats desserts traditionnels comme la « poutine (pouding) au pain »’, le « pouding chômeur » ou des muffins, des beignes ou des fruits. C’est très apprécié des gars car certains arrivent au café du matin sans avoir pris une bouchée. Ça jase (3) fort autour du café et de la poutine… sur des sujets qui ne manquent pas de profondeur.

Plusieurs activités sont proposées pour favoriser les échanges et retrouver la joie de vivre : le billard (2 tables), les cartes, le crible, la courtepointe(4), etc. Cette dernière activité est animée par un pasteur de l’Église mennonite et sa femme qui sont spécialisés depuis des années dans cet art. Cette activité constitue un prétexte pour socialiser, aborder des sujets de réflexion et pratiquer ses habilités et sa patience… Ceux qui s’impliquent peuvent en commander une à leur goût gratuitement.

Les gars participent aussi aux tâches entourant le repas : préparer légumes et la salade, monter les tables et faire la vaisselle ou rendre des services d’entretien des lieux.

Notre approche spirituelle est nettement dans la tradition chrétienne catholique avec un esprit œcuménique. Ainsi, le pasteur mennonite dit la prière lors du repas du mercredi et le coordonnateur à celle du lundi. La référence est claire au Dieu de Jésus Christ à qui nous nous adressons comme notre Père. Des rappels sont faits de passages de l’Évangile ou des psaumes qui nous révèlent sa bonté, sa miséricorde, sa bienveillance, sa patience envers nous. On rappelle sa recherche de la brebis perdue, son attente du fils perdu qui revient, combien il nous cherche et veut notre bonheur. La foi nous dit que le meilleur nous attend dès ce monde.

Parfois nous faisons référence aux autres religions dans ce qu’elles apportent de sagesse car il y a des personnes de traditions amérindiennes ou bouddhistes qui fréquentent le centre. Les quelques minutes de commentaires adoptent un langage actuel et imagé qui fait souvent appel à l’humour. Les gars apprécient. D’ailleurs cet humour affectueux est un outil privilégié du coordonnateur pour passer ses messages, susciter des prises de conscience et soutenir la persévérance.

C’est une grande joie pour moi et les 8 bénévoles de participer à ce service communautaire de restauration et de guérison pour tous. Le Maître d’œuvre c’est le Seigneur de la Vie abondante, tendre et miséricordieux. Nous sommes témoins des bontés de Dieu sur la terre des vivants.

‘’En toi, Seigneur, j’ai mon refuge :
garde-moi d’être humilié pour toujours.
Dans ta justice, libère-moi;
écoute et viens me délivrer.’’ Ps. 30


(1) Même après cela, certains ont des conditions à respecter à vie comme ne pas utiliser l’internet et un téléphone cellulaire (smartphone), ne pas se retrouver seul avec des enfants ou dans un parc ou un quartier déterminé.

(2) Il y en a une douzaine dans la ville de Montréal. Ce sont des blocs-appartements sur 2-3 étages pouvant loger 25-30 gars à raison de 2-3 par chambres. Les conditions de sortie sont strictes. Ils doivent signaler leurs allées et venues, signer à un poste de sécurité à l’entrée et se rapporter fréquemment dans la journée comme pour leur arrivée et leur départ du centre de jour. Ils sont en semi-liberté.

(3) Jaser : parler, discuter, bavarder (sans sens péjoratif).

(4) Courtepointe: « patchwork »