Depuis 2018, Emmaüs Lespinassière (Aude) accueille des détenus en fin de peine. L’agriculture y est utilisée comme un outil de reconstruction pour ces hommes et leurs projets de réinsertion dans la vie.
Un reportage de Sixtine Lerouge pour La Croix
Il y a d’abord le bruit vif de l’oignon que l’on arrache à la terre, puis le son lourd lorsqu’il retombe sur l’herbe. Le dos courbé sur son rang, Louis récolte sans broncher. Depuis son arrivée à Lespinassière il y a un an et demi, le quinquagénaire a pris goût au travail de la terre. Dans ce village niché sur les hauteurs de la Montagne noire, il ne pouvait rêver meilleure transition après dix-huit ans de détention. Encore écroué, il bénéficie d’un aménagement de peine lui permettant de la finir à la ferme de « Lespi », une structure d’insertion du réseau Emmaüs qui l’accueille, avec quatre autres anciens détenus.
Ici, pas de gardien, ni de bracelet électronique, mais une confiance réciproque entre résidents et encadrants. Seule une charte récapitule les règles et obligations : ne pas quitter la maison après 19 heures, être accompagné pour sortir du village… Une semi-liberté parfois frustrante, mais sans « barreau ni personne pour fermer la porte à clé derrière soi », relève Louis. Autour de son cou, brille celle de sa chambre, symbole d’une autonomie retrouvée.
« Ils arrivent cassés par la prison, explique Samuel Gautier, qui a monté ce projet en 2015, avec l’aide du réseau Emmaüs. Ici, on les voit physiquement se redresser. » Le lieu n’a pas vocation à être un prolongement de la prison. Au contraire, Samuel Gautier le voit comme son antithèse, « un sas pour désapprendre les réflexes de la prison et réapprendre à communiquer », au travers de la vie en communauté, du maraîchage et d’un accompagnement individuel. « On les aide à mieux se connaître en les mettant face à leur comportement », poursuit le responsable, assumant ce « pari sur l’humain ».
Ce pari, le village l’a fait avec lui. Pour les 130 habitants, qui désespéraient de voir leur ancien presbytère à l’abandon, la réhabilitation de celui-ci a représenté un soulagement. Et peu importe le profil des personnes accueillies. « Vous êtes fous à Lespinassière ! », se sont-ils entendu dire. Trois ans après l’arrivée des premiers détenus, il n’est pas rare de voir un des résidents attablé au café-épicerie du village, ou un des villageois à la terrasse en bois de la ferme.
« Être là, c’est une opportunité, mais aussi un test », raisonne Ludo, 40 ans et plus ancien résident. En deux ans, il a assisté à quatre retours en détention pour non-respect des règles. Lui est toujours là. Du moins jusqu’à fin novembre, où son contrat prendra fin et sa peine avec. Avec le salaire gagné ici, il se voit déjà acheter une voiture, ce qu’il s’était toujours refusé pour « éviter toute tentation » de départ.
En attendant, il aligne minutieusement dans des cageots des légumes qu’il connaît par cœur. Direction les points de vente. Sous la remise, des notes de R’n’B résonnent. « Je connais ça, j’avais tous les CD ! », lance Karim, 47 ans dont vingt et un en détention. « Plus personne n’en a », le rembarre Ludo, sans affecter son camarade : Karim préfère rester « à l’ancienne ».
Résident depuis trois mois, il retrouve ici « le sérieux du travail », les mains dans la terre. Sa vie d’avant, celle des « conneries » et de la fête à outrance, il l’a laissée à l’entrée de la prison. En récoltant ses haricots verts, il songe déjà au prochain marché. « Quand les gens se jettent dessus, ils ne savent pas que c’est moi qui les ai cueillis. » Rien que d’y penser, un large sourire irradie son visage.
En contrat à la ferme pour un an, il lui reste encore plusieurs mois pour solidifier ce début de reconstruction. « Les personnes passées par la prison ont besoin d’un temps pour digérer et se préparer à retrouver la liberté », souligne Samuel Gauthier. Dans sa ferme, comme dans d’autres soutenues par Emmaüs, l’objectif est bien celui-ci : il ne s’agit pas tant de réinsérer la personne dans l’emploi que de lui permettre de regagner une relative stabilité, une fois libérée.
À l’image de Louis, 57 ans, qui envisage surtout sa vie d’après comme bénévole dans une association, « Emmaüs peut-être ». Face à lui, la montagne se dresse, protectrice. Il n’en partira pas trop loin, à Carcassonne sûrement. « Je me sens chez moi ici… »
Source : La Croix