Le 27 mai 2016, au centre de détention de Bapaume, une quarantaine de détenus accompagnés de vingt musiciens professionnels et étudiants du master « Art et Responsabilité Sociale et politiques culturelles croisées » et du conservatoire de Lille et de Lomme, ont donné un concert sous la direction de Kleiberth Lenin Mora Aragon, professeur invité à l’université de Lille 3. Le projet a associé l’université Lille 3, la direction interrégionale des services pénitentiaires, la direction régionale des affaires culturelles, le conseil régional et l’association Hors Cadre.
Kleiberth Lenin Mora, chef d’orchestre et musicien de renommée internationale formé par El Sistema, est par ailleurs avocat : créateur des orchestres pénitentiaires au Venezuela, il est venu à Lille 3 témoigner de son expérience en dialogue avec le sociologue Gilles Chantraine (Université de Lille 1) et a mis ensuite en pratique son enseignement au centre de détention de longues peines de Bapaume avec les étudiants.
Ce projet d’orchestre participatif s’inscrit dans la continuité du programme Chercheurs-Citoyens du Conseil Régional : Le Jeu d’Orchestre, recherche-action en art dans les lieux de privation de liberté, développé de 2012 à 2014 à Lille 3 et dans les 11 prisons du Nord Pas de Calais sous la direction scientifique de Marie-Pierre Lassus pour renforcer les processus de démocratie participative et favoriser la participation de la société civile à des thématiques pouvant avoir des retombées sociétales fortes. Ces objectifs rejoignent ceux de El Sistema, créé en 1975 par le chef d’orchestre et économiste José-Antonio Abreu, nommé Docteur Honoris Causa de l’Université Charles de Gaulle Lille 3 en novembre 2014.
Un programme exemplaire au Venezuela
Organe de la Fondation Musicale Simon Bolivar, El Sistema vénézuélien est un programme de réinsertion sociale par la musique qui vise à articuler la composante musicale à la composante sociale.
Grâce à ses 800 orchestres et ses 1720 groupes choraux dans tout le pays, 500.000 enfants et jeunes, dont 75% provenant des milieux sociaux les plus défavorisés, ont pu y participer, faisant de ce programme un modèle de résistance à l’exclusion, à la pauvreté et à la criminalité : aujourd’hui, 8000 détenus de 8 centres pénitentiaires du Venezuela ont pu bénéficier du Programme Académique pénitentiaire créé en 2007 par Kleiberth Lenin Mora Aragon, aux côtés du Programme d’éducation spécialisée destiné aux enfants en situation de handicap, comme le Chœur des Mains Blanches pour les sourds et muets, du programme hospitalier et du programme de musique traditionnelle Alma Llanera, de la Fondation Simon Bolivar.
Un succès à Bapaume
Depuis le début du projet à Bapaume, le 9 mai, une vingtaine de musiciens de Lille 3 et des conservatoires de Lille et de Lomme se sont relayés chaque jour auprès des détenus pour leur apprendre à la fois à jouer d’un instrument de l’orchestre choisi par eux en fonction de leur goût et de leur morphologie et à lire une partition, dans le but de monter ensemble un programme constitué de cinq morceaux d’orchestre : 1.« La Grande Porte de Kiev » (Moussorgski, Les Tableaux d’une exposition) 2. Symphonie n°1 (extrait) de J. Brahms. 3. Venezuela (avec chœur et orchestre) 4. « Ode à la Joie » (Beethoven, Symphonie n° 9, avec chœurs et orchestre) 5. Chamambo (avec chœurs et orchestre).
Travail individuel et pratique orchestrale collective se sont succédés chaque jour. Malgré les contraintes imposées par l’établissement (entre autres, un gymnase de mauvaise qualité acoustique pour tous les cours individuels et collectifs), ce programme a pu être monté en deux semaines dans l’enthousiasme général et avec une rapidité d’apprentissage et une qualité d’écoute étonnantes chez ces hommes et ces femmes détenus qui, sauf un, n’étaient pas musiciens et qui se sont engagés corps et âme dans cette expérience humaine autant que musicale. Nul doute que celle-ci restera dans les mémoires de chacun, avec de probables retombées dans la vie de la prison comme dans celle des étudiants qui ont acquis, en outre, un savoir-faire inédit et jamais enseigné.
Le haut niveau musical obtenu est d’abord le fruit d’un partage de valeurs et d’efforts communs : solidarité, écoute et respect de soi et d’autrui, travail d’équipe, accomplis au sein d’un orchestre devenu école de vie. Par la création d’un milieu multiculturel, distinct de l’environnement carcéral, cette expérience de recherche-action du parcours ARS International montre que grâce au langage universel de la musique, comme l’a écrit Winnicott, les « Murs de pierres ne font pas la prison, ni barreaux de fer, la cage ».
Selon Marie-Pierre Lassus, de l’université Lille 3 et responsable du pôle Papillon de l’association Passeurs d’Arts, « La question de la discipline ne s’est jamais posée. La musique apporte la joie, l’énergie qui émerge fait naître la beauté. On était heureux de venir. C’était inoubliable ».
Sources : La Voix du Nord, Congrès-Beauté