Jean-Joseph Lataste, surnommé l’« Apôtre des prisons » a été béatifié par le pape Benoît XVI le 3 juin 2012 à Besançon.
Outre la congrégation des Sœurs dominicaines de Béthanie qu’il a fondée, se réclament de son héritage spirituel un institut séculier (Mission Notre-Dame de Béthanie), une fraternité dominicaine dans une prison d’hommes aux États-Unis (Norfolk, Massachusetts), des groupes de laïcs se voulant être des lieux d’accueil où puisse renaître l’espérance pour chacun (Fraternité Lataste) et une fraternité issue du Renouveau Charismatique (La Résurrection de Lazare de Béthanie).
Ils sont tous désireux de continuer d’« espérer contre toute espérance ». « Dieu ne regarde pas ce que nous avons été, il n’est touché que de ce que nous sommes. »
Tombé malade après avoir longuement confessé dans un confessionnal humide, le père Lataste meurt le 10 mars 1869 à Frasne, à 36 ans, pardonnant à ceux qui ont combattu son projet. Son corps intact est transféré dans la chapelle des Sœurs en 1937.
La congrégation des Sœurs dominicaines de Béthanie est une congrégation qui mêle d’anciennes détenues qui veulent consacrer leur vie à Dieu à d’autres Sœurs au parcours moins chaotique, « de telle sorte que nul regard humain ne puisse plus discerner désormais les anciennes pécheresses de celles qui n’ont pas péché ».
Alcide Vidal Lataste (plus tard en religion, Frère Jean-Joseph) voit le jour le 5 septembre 1832. Dernier d’une famille de sept enfants, il naît dans la petite bourgeoisie : son père est négociant en vin et possède également un petit commerce de tissus ; sa mère a la charge du foyer. Baptisé le lendemain de sa naissance, Alcide ressent très tôt l’appel à consacrer sa vie au Christ, il commencera d’ailleurs sa scolarité au petit séminaire de Bordeaux en 1841 à l’âge de neuf ans. Mais l’adolescence, certaines « mauvaises fréquentations », et surtout un refus farouche de la part de son père repoussent la mise en œuvre d’une vocation dont il se sent d’ailleurs indigne. Après son baccalauréat, il débute donc une carrière dans la fonction publique comme inspecteur des impôts à Privas (Ardèche).
Dans les premières années de sa vie professionnelle, Alcide, grâce à l’amitié bienveillante d’un de ses collègues, Léon Boyer, retrouve le chemin d’une vie chrétienne active par la pratique des sacrements et l’adoration nocturne du Saint-Sacrement, ainsi que l’exercice de la charité en s’engageant dans les Conférences Saint-Vincent-de-Paul afin de servir les pauvres. « J’ai retrouvé là une famille de frères », écrit-il alors.
À la fin de l’année 1855, Alcide est frappé par l’épreuve : il perd successivement sa sœur Rosy, qui était aussi sa marraine, devenue religieuse des Filles de la Sagesse, et sa bien-aimée, Cécile, que sa famille avait éloignée et qu’il n’a jamais revue. Malgré une douleur intense (« Voilà tous mes rêves d’avenir évanouis… voilà mon cœur mis à nu comme un sanctuaire dévasté… »), il voit dans ces événements le signe de la volonté du Seigneur. Il décide alors de répondre à l’appel reçu dès l’enfance et d’entrer dans la vie religieuse, sans savoir à quelle porte frapper. Il envoie donc un courrier aux supérieurs des Prémontrés, des Carmes et des Dominicains afin qu’ils lui transmettent les constitutions de leur Ordre respectif. C’est le charisme de l’Ordre des Prêcheurs et la figure du Père Lacordaire (restaurateur de l’Ordre en France quelques années auparavant) qui le séduisent.
Avec l’audace propre aux amis de Dieu, sûr de son choix (après avoir prié sur la tombe de Cécile), sans même en référer à sa famille, il entre au noviciat dominicain, à Flavigny (Côte-d’Or), en Bourgogne, le 4 novembre 1857. À 25 ans, Alcide reçoit l’habit blanc et noir des fils de saint Dominique et le nom de Frère Jean-Joseph.
Rencontre avec Marie-Madeleine.
La Croix marque à nouveau les débuts de la vie du Frère Jean-Joseph dans l’Ordre des Prêcheurs. Il avait d’ailleurs écrit : « Mon Dieu, si vous voulez que je souffre, envoyez-moi des souffrances, avec votre grâce je les accepterai joyeusement ; mais ne comptez pas sur moi pour me faire souffrir. » Le voilà atteint d’une ostéomyélite (infection osseuse) à la hanche et il est amputé d’un doigt (l’index de la main droite), conséquence d’une blessure mal soignée. Cela bouleverse le cours de ses études et semble remettre en cause sa future ordination sacerdotale. Pour se donner du courage durant ces années de formation, il a recours à la prière et à l’exemple d’une grande figure spirituelle rattachée à l’Ordre des Prêcheurs : non pas le « Doctor Angelicus », saint Thomas d’Aquin, non pas la mystique sainte Catherine de Sienne, mais la beauté de la vie d’une des premières disciples du Christ, sainte Marie-Madeleine, l’« apôtre des Apôtres » sous le patronage de laquelle l’Ordre est placé.
Grâce à ce compagnonnage spirituel, il approfondit son amour de Dieu, son attachement au Christ, pénètre plus avant la valeur du pardon et s’émerveille du travail que la grâce opère dans les cœurs : « Je ne sais rien de beau comme cette innocence de Madeleine recouvrée dans les larmes et dans l’amour. »
Le 20 mai 1860, il assiste au sanctuaire de Saint-Maximin-la-Sainte-Baume (Var) aux célébrations entourant la translation des reliques de sainte Marie-Madeleine dans un nouveau reliquaire, un an après la réinstallation des Dominicains par Lacordaire. Malade, il est autorisé à vénérer le chef de la sainte. Il racontera plus tard : « Baisant cette tête autrefois avilie, aujourd’hui sacrée, je me disais : « il est donc vrai que les plus grands pécheurs, les plus grandes pécheresses ont en eux ce qui fait les plus grands saints ; qui sait s’ils ne le deviendront pas un jour… » Et le Frère Jean-Joseph obtient son propre miracle : il est guéri !
Il peut enfin être ordonné prêtre le 8 février 1863. Désormais il n’aura de cesse de partager aux autres le fruit de sa contemplation et se fera à son tour apôtre de la Miséricorde, pour que, comme lui, d’autres puissent retrouver la force d’« espérer contre toute espérance » (cf. Romains IV, 18). En 1863 encore, il passe par Lourdes (Hautes-Pyrénées) où il rencontre sainte Bernadette qui le touche par sa sincérité. Il disait : « Je voulais voir les yeux qui ont vu la Vierge… » « Dieu ne vous a ni maudite, ni abandonnée, ni même oubliée, il vous aime au contraire » « Ces femmes qui étaient mes sœurs… » .
Cet apostolat de la Miséricorde, il va l’expérimenter lors d’une retraite qu’on lui demande de prêcher en septembre 1864 à la maison de travaux forcés pour femmes de Cadillac, celle-là même à l’ombre de laquelle il a grandi. Il appréhende un peu cette rencontre avec ces femmes déshonorées, qu’on ne cherche qu’à moraliser, pour leur obtenir une réintégration dans la société partielle, au rabais. Mais il trouve devant lui des femmes attentives, qui attendent une parole d’espérance, de pardon, de miséricorde. Et dès le sermon d’ouverture, Frère Jean-Joseph semble touché, bouleversé par ces femmes. Il commence par ces simples mots : « Mes chères sœurs », qui ne sont pas pour lui une simple formule de politesse : « […] Je vous appelle : mes bonnes, mes pauvres, mes chères sœurs. Et ce n’est pas là une parole banale […]. D’où vient que vous m’êtes si chères, vous que le monde oublie et méprise ?… C’est que nous sommes les ministres d’un Dieu qui vous aime, malgré vos souillures, d’un amour sans égal ici-bas, d’un Dieu qui vous poursuit de son amour sans cesse, qui, maintenant encore, à l’instant où je vous parle, se tient invisiblement à la porte de votre cœur, et se sert de mes paroles pour frapper à votre porte et vous dire tout bas : « Pauvre enfant, donne-moi ton cœur. » – « Reviens à moi et je reviendrai à toi. »» Oui, une vie nouvelle soutenue par l’amour de Dieu et celui envers le prochain est possible. Rien n’est perdu, tout est à gagner, la miséricorde de Dieu est pour tous ! « Non, ce n’est pas fini, non [Dieu] ne vous a ni maudite, ni abandonnée, ni même oubliée, qui que vous soyez, il vous aime au contraire, et la plus grande injure que vous lui puissiez faire et votre plus grande ingratitude seraient de vous obstiner à douter ainsi de la miséricorde et de désespérer de son pardon. »
La retraite est un véritable succès : toutes les détenues assistent à la veillée d’adoration du Saint-Sacrement en se relayant, et beaucoup d’entre elles n’hésitent pas à recevoir le sacrement de réconciliation. C’est un bouleversement pour le jeune prêtre : il comprend que la sainteté peut jaillir en chacun de nous, y compris au milieu du mal le plus terrible.
L’année suivante, le Père Lataste est à nouveau invité à prêcher la retraite aux détenues. Cette fois encore il peut s’exclamer : « J’ai vu des merveilles » ! Mais il voudrait aller plus loin ; un soir, priant devant le Saint-Sacrement avec les détenues, il a l’intuition de fonder une nouvelle congrégation religieuse féminine capable d’accueillir les détenues qui souhaiteraient se consacrer à Dieu à leur sortie ; une congrégation prête non seulement à les héberger, mais bien plus encore à les recevoir comme n’importe quelle autre candidate, sans distinction. Alors vraiment, les détenues seront « réhabilitées ».
L’Œuvre des Réhabilitées ou la « Maison de Béthanie »
Au début de l’année 1866, le Père Lataste publie une brochure intitulée Les Réhabilitées, afin de faire connaître à l’opinion publique son projet, l’« Œuvre des Réhabilitées » ou la « Maison de Béthanie », et d’y trouver quelques soutiens tant humains que financiers. Ses supérieurs dominicains comme les évêques auxquels il s’adresse sont peu enclins à l’encourager compte tenu de l’audace du projet. Si des congrégations tenaient déjà des Refuges, des lieux d’accueil pour des femmes sorties de prison ou plus encore issues du milieu de la prostitution, où elles pouvaient trouver un asile, du travail, un cadre de prière et de pénitence propice, le projet du Père Lataste est tout autre.
Il souhaitait que ces femmes puissent devenir religieuses, et c’est en cela que réside l’originalité du projet béthanien : réunir en une seule famille spirituelle, dans une même communauté, religieuses et repenties. « [Un pauvre prêtre] a pensé qu’il était temps de rendre [au front de ces femmes] la couronne tombée. – Les recueillir en une société d’âmes sans tâche, vouées à Dieu, qui les prenant par la main comme des sœurs, et par des ascensions successives, les élevant à leur niveau, les confondraient dans leurs rangs, les abriteraient de leur pureté, partageraient avec elles leur nom, leur habit, leur vœux, toute leur vie ; de telle sorte que nul regard humain ne puisse plus discerner désormais les anciennes pécheresses de celles qui n’ont pas péché ».
Pour l’aider à cette fondation nouvelle, le Père Lataste croise sur sa route une religieuse dominicaine, Sœur Henri-Dominique Berthier, qui deviendra la première supérieure de Béthanie. Grâce à la générosité de l’évêque de Besançon, la première maison des Dominicaines de Béthanie peut ouvrir ses portes à Frasne-le-Château (Haute-Saône), le 14 août 1866. Entre 1866 et 1869, le Père Lataste continue sa mission de prédication et se charge de soutenir ses Sœurs de Béthanie.
Le 22 juillet 1868, fête de sainte Marie Madeleine, c’est la prise d’habit des deux premières « réhabilitées ». Ces temps de fondation pour la nouvelle Congrégation ne s’achèveront que peu de temps avant la mort du Père Lataste. La veille de Noël 1868 : le fondateur avait remis l’habit à une ancienne détenue, désormais Sœur Noël, qu’il avait connue quatre ans auparavant à Cadillac et qu’il avait réussi à convaincre de renoncer à sa décision de se suicider…
La Prière du Père Lataste :
« Ô mon Jésus, que je Vous aime !
Donnez-Vous à moi et donnez-moi à Vous :
identifiez-moi à Vous : que ma volonté soit la Vôtre !
Incorporez-moi à Vous, que je ne vive qu’en Vous et pour Vous !
Que je dépense pour Vous tout ce que j’ai reçu de Vous,
sans en rien garder pour moi-même !
Que je meure à tout pour Vous !
Que je Vous gagne des âmes : des âmes !
Des âmes, ô mon Jésus, des âmes !
Amen. »