Tu annonceras ma parole. Notre Fraternité dans les pas du Père Aubry
Week-end du Bon Larron – 16/17 octobre 2021

Intervention du père Etienne Guillet

Le père Guillet est vicaire épiscopal pour la charité et la mission au diocèse de Versailles
et le curé de la paroisse de Trappes dont le Père Aubry a été curé.

D’abord la lecture de l’Évangile toujours vivante aujourd’hui : Actes 8, 26-40 :

« L’ange du Seigneur adressa la parole à Philippe en disant « Mets-toi en marche en direction du Sud, prend la route qui descend de Jérusalem à Gaza, elle est déserte ». Et Philippe se mit en marche. Or un Éthiopien, un eunuque, haut fonctionnaire de Candace, la Reine d’Ethiopie, et administrateur de tous ses trésors était venu à Jérusalem pour adorer, et il en revenait. Assis sur un char, il lisait le prophète Isaïe. L’Esprit dit à Philippe « Approche et rejoins ce char ». Philippe se mit à courir et il entendit l’homme qui lisait le prophète Isaïe. Alors il lui demanda : « Comprends-tu ce que tu lis ? » L’autre lui répondit : « Comment le pourrai-je s’il n’y a personne pour me guider ? ». Il invita donc Philippe à monter et s’assoir à côté de lui. Le passage de l’Écriture qu’il lisait était celui-ci :

« Comme une brebis qui fut conduite à l’abattoir, comme un agneau muet devant celui qui le tond : il n’ouvrit pas la bouche. Dans son humiliation il n’a pas obtenu justice. Sa descendance qui en parlera ? Car sa vie est retranchée de la terre ». Prenant la parole, l’eunuque dit à Philippe : « Dis-moi je te prie de qui le prophète parle-t-il ? De lui-même ou bien d’un autre ? » Alors Philippe prit la parole et à partir de ce passage de l’Écriture, il lui annonça la Bonne Nouvelle de Jésus. Comme ils poursuivaient leur route, ils arrivèrent à un point d’eau. L’eunuque dit : « Voici de l’eau : qu’est ce qui empêche que je sois baptisé ?» Il fit arrêter le char, ils descendirent dans l’eau, tous les deux, et Philippe baptisa l’eunuque. Quand ils furent remontés de l’eau l’Esprit du Seigneur emporta Philippe, l’eunuque ne le voyait plus mais il poursuivait sa route tout joyeux, Philippe se retrouva dans la ville d’Azot. Il annonçait la Bonne Nouvelle dans toutes les villes où il passait ; jusqu’à son arrivée à Césarée.

Chant :

Ils ont annoncé l’Évangile par la force de l’Esprit,
Ils ont fait connaître à tous les peuples ton nom, Seigneur Jésus.

Méditation ou « L’ANNONCE DU CHRIST AUX PÉRIPHÉRIES EXISTENTIELLES ET GÉOGRAPHIQUES »

Voici la traversée de cette rencontre. Je vous propose que nous soyons sur le bord de la route, parce que le char vient de s’arrêter, deux hommes se rencontrent, rien de plus ordinaire : ils ouvrent des rouleaux et se les expliquent. A vue d’œil, rien de plus ordinaire. Mais quels sont les personnages en présence ?

Le premier personnage, celui qui est arrivé en galopant : c’est Philippe. On l’a déjà rencontré : il fait partie des sept qui ont été appelés pour aider les douze apôtres. Sept sont appelés pour aider au service des tables, au service des veuves, mais on les découvre très vite missionnaires. Le premier c’est Etienne, nous savons ce qui va lui arriver, juste avant l’épisode que nous vivons aujourd’hui. C’est aussi pour cela que nous en sommes là, les six autres ont dû fuir après le martyr d’Etienne. Est-ce un mal pour un autre bien, sans doute un tour de la providence. Tous ces hommes vont devenir des missionnaires audacieux au-delà de la ville de Jérusalem. C’est justement là où nous en sommes. Philippe est donc là, c’est un juif de culture grec, à la différence des douze de culture Galiléenne. C’est un missionnaire itinérant.

Dans le char c’est très différent. Présenter un homme dans un char, signifie qu’il est riche et puissant. Luc, rédacteur des actes, ne nous dira ni son nom, ni son prénom. Chacun pourra donc y glisser le sien. Cet homme est un haut dignitaire, étranger : il vient d’Ethiopie. On découvre qu’il est au service d’une Reine : probablement son ministre des finances, ce n’est pas rien. Il voyage et repart vers l’Éthiopie. Mais il ne vient pas de n’importe où : il vient de Jérusalem. Il n’est pas juif, c’est un des mystères de ce texte. Qu’est-ce que cet homme est venu faire à Jérusalem ? Il n’est pas Juif et ne comprend pas les textes. On pourrait le classer dans la catégorie des « craignant Dieu », c’est-à-dire ceux qui ont la crainte de Dieu, ce sont des non-juifs, mais la foi juive leur pose question. Ils n’ont pas accès au temple, mais ils sont du second cercle sans être agrégés au peuple juif.

Alors voilà nous sommes les témoins d’une rencontre un peu incroyable puisqu’il s’agit d’un ministre des finances à la rencontre d’un homme itinérant. Saint-Exupéry nous dit dans le Petit Prince : « L’essentiel est invisible pour les yeux ». Alors, si nous passons sur cette rencontre sans reconnaître cet essentiel, nous passons à côté de tous les enjeux qui se cachent dans ce récit. Ce récit est une pépite théologique, spirituelle, pastorale, tout à la fois. Parce qu’on ne voit pas tout, ou alors il faut lire entre les lignes.

Il y a dans ce récit trois invisibles qui ne sautent pas aux yeux, mais permettent de lui donner une saveur théologique, spirituelle et pastorale.

Le premier invisible c’est L’Esprit Saint. Il ne faut pas passer à côté de l’acteur principal, celui qui a programmé la rencontre. C’est l’Esprit Saint. Saint Luc parle « d’Ange du Seigneur », il s’agit de l’Esprit Saint qui tire ce récit. D’abord l’Esprit Saint oriente le chemin de Philippe vers le sud, ensuite l’Esprit lui demande de rejoindre le char qu’il trouve sur cette route (si l’Esprit était aussi clair avec nous, qu’avec Philippe…). Ici, la théologie de Luc est surprenante : mais Luc veut simplement nous dire que : « Seul l’Esprit Saint est moteur de la mission ». Philippe ne travaille pas pour son compte : Philippe est docile à son envoi missionnaire.

Revenons à cette rencontre : qu’est-ce que cet eunuque était venu faire à Jérusalem ? Une phrase de Saint Augustin me revient. En parlant de Dieu, il dit : « Tu ne me chercherais pas, si tu ne m’avais déjà trouvé ». Cet eunuque était un homme en recherche, déjà travaillé, et en quête du désir de Dieu…

Dans toute vie missionnaire c’est l’Esprit Saint, premier invisible, qui conduit les affaires. En ce qui nous concerne, nous devons être dociles à la mission. Au troisième siècle un autre Père de l’Église, Eucuménus, disait : « les Actes des Apôtres sont l’Évangile de l’Esprit », tant les Actes nous présentent un Esprit Saint libre et actif. Dans une première lecture on retrouve Saint Paul et Saint Pierre, ils prennent une part importante dans les actes des Apôtres ; mais l’Esprit Saint reste à la première place dans leurs actes… comme il l’est encore dans nos Actes d’aujourd’hui.

Le deuxième invisible, c’est que cet eunuque, sous des apparences richissimes, est un « arbre sec », sans succession possible. Il est considéré comme impur suivant la loi, car il ne peut donner la vie. Si son apparence est trompeuse aux yeux de tous, c’est un homme triste. Il représente l’homme fissuré, il sent le malheur, sans doute s’est-il rattrapé avec son char et ses titres, mais il reste sujet à de nombreuses moqueries. On aurait pu penser qu’il était puissant, en fait il est une des grandes figures de l’impuissance et de la fragilité qui galope dans le nouveau testament. De ses hommes pour qui la vie n’a pas fait de cadeaux. Cet eunuque court avec son secret qui ne saute pas aux yeux.

Face à lui, Philippe, tout en délicatesse. Sa première question est marquée par la douceur : « Comprends-tu ce que tu lis ? ». Sa parole n’accuse pas, ne fait pas la morale, elle le prend là où il en est. La parole de Dieu résonne chez l’eunuque au point précis de son secret. Qu’est-ce qu’il ne comprend pas : « Comme une brebis qui fut conduite à l’abattoir, comme un agneau muet devant celui qui le tond, il n’ouvre pas la bouche. Dans son humiliation, il n’a pas obtenu justice. Sa descendance qui en parlera ? Sa vie est retranchée de la terre » La parole de Dieu résonne chez cet homme pile poil au lieu de sa fragilité la plus intime.

Alors que faire ? Par bonheur, Philippe se trouve là pour lui dire que s’il est exclu du temple de Jérusalem, il ne le sera pas de l’eau du baptême. Dans ce deuxième invisible, il faut garder que, dans l’évangélisation des cœurs, la porte de nos fragilités est la porte où Dieu veut nous rencontrer. Saint Paul le dira à sa manière « C’est parce que je suis faible que je suis fort ». C’est aussi cette phrase qui résonne au cœur de cet eunuque éthiopien.

Le troisième invisible c’est un nouvel inconnu, peut-être le plus important : nous n’avons plus de nouvelles de cet eunuque. « no news ». On pourrait prendre Luc en flagrant délit de « géographie théologique ». Luc ne se laisse pas conduire par le hasard. Nous avons ici un récit « en chemin », c’est un truc rédactionnel chez Luc, beaucoup de récits se vont « en chemin », « en marchant ». Regardez les compagnons d’Emmaüs, beaucoup sont en chemin. Pour Luc, nos propres vies sont des itinérances, sans que nous en connaissions leur aboutissement. Vous avez dit tout à l’heure, à propos du père Aubry, qu’il s’est lui-même construit par des rencontres. C’est le propre de notre vie chrétienne : « d’être en chemin ». La tradition catholique chrétienne qualifiera cela en disant que nous sommes des « homo-viator » « des hommes de la route ». Nos pèlerinages vers Saint Jacques de Compostelle sont beaucoup plus qu’une marche, parce qu’à travers de ces marches nous vivons notre propre existentiel chrétien. A chaque instant le Christ s’invite.

Dire qu’il y a une théologie de la route signifie aussi que parfois les routes se séparent : Philippe n’a pas fait de l’eunuque un disciple « ad vitam », « pour la vie ». Philippe initie l’eunuque, lui donne la grâce du baptême, et s’efface. Et l’on ne sait pas où cet eunuque va aller. L’histoire de l’Église est identique : on fait route ensemble, et on laisse la place à d’autres, bien des textes nous le racontent, le Christ lui-même. C’est aussi la finale de la lecture du « bon samaritain ». Le bon samaritain conduit le blessé à l’auberge, et laisse l’aubergiste faire la suite, il reviendra plus tard. C’est notre chemin d’Église basé sur la confiance et la prière : nous nous relayons les uns les autres.

C’est encore aujourd’hui une actualité importante de l’Église. Au-delà du rapport de la CIASE la semaine dernière, et de ses conséquences, d’autres soucis nous guettent : je veux parler de l’emprise des uns sur les autres qui existent dans toutes les communautés, et qui sont des déformations d’un chemin spirituel. Le texte que nous venons de lire est un vaccin contre le risque d’emprise. Il fait la route et il s’efface. C’est aussi un modèle de catéchuménat : on fait la route, et d’autres viendront. Ce n’est pas un abandon, sinon à ne pas bien faire notre mission d’Église. L’Église reste un collectif à gérer dans la confiance.

Le livre des actes des Apôtres ne se termine pas en Éthiopie, mais à Rome quand Paul, après un naufrage et bien des péripéties, y arrive. Paul est condamné, mais à quoi est-il condamné ? Innocent ou coupable, nous n’en saurons jamais rien. Par contre Rome est à l’époque la capitale du monde entier : en fait la bonne nouvelle est arrivée dans le lieu du rayonnement du monde. Cette après-midi nous avons suivi un homme qui n’est pas allé à Rome, il est reparti en Éthiopie. A cette époque l’Éthiopie était considérée comme la terre la plus lointaine. Cet homme était reparti dans la terre la plus éloignée de l’époque. De Rome aux contrées les plus lointaines, ainsi voyage la Bonne Nouvelle de Dieu.

On pourrait aussi parler du « Kairos », du « Bon Moment » favorable à l’annonce de cette Bonne Nouvelle. Ce n’est pas le « Chronos » ou « le temps qui passe ». Le « Kairos » est cité 86 fois dans le Nouveau Testament, c’est « le bon moment » ou temps de Dieu. Pour cet eunuque c’était son bon moment voulu par Dieu. On peut remercier Philippe d’avoir été disponible « au bon moment », pour la mission conduite par l’Esprit Saint. Mais l’Esprit Saint a toujours besoin d’apôtres, alors ils sont là : dans cette maison lazariste, dans nos paroisses, dans nos aumôneries de prison, dans nos réseaux du Bon Larron. Le Seigneur passe toujours par des témoins qui osent une parole. Philippe a osé une parole délicate, progressive qui explique les choses. Le Seigneur passe par des hommes libres, tu n’es pas viré de la miséricorde de Dieu, tu seras baptisé.

Merci de votre écoute.

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