Entretien avec Béatrice Carton, médecin généraliste et présidente de l’Association des professionnels de santé exerçant en prison (APSEP). Elle a été distinguée comme l’une des « Femmes de santé 2022 ». « Ce n’est jamais un casier judiciaire que nous recevons en consultation mais un être humain », dit-elle.

« Rester en bonne santé en prison est d’autant plus périlleux que les conditions d’incarcération déplorables occasionnent de récurrents dysfonctionnements sanitaires. Nombre des 187 établissements pénitentiaires en France affichent des taux d’occupation de plus de 200 %. Quand on est plusieurs dans neuf mètres carrés 24/24 heures, forcément la contagion de certaines infections est rapide. De même, avec l’état de délabrement des infrastructures, cela n’aide pas à une hygiène minimum…

En quoi soigner en prison est-il différent ?

« Bien sûr, les questions de sécurité pèsent. Mais la grande difficulté est aussi de garantir, comme à tout patient libre, la confidentialité des consultations et soins.

Quand vous recevez un patient dit dangereux, nous devrions pouvoir lui assurer un face-à-face sans tiers. C’est parfois compliqué de batailler pour que les juges et les personnels pénitentiaires ne soient pas systématiquement au courant du contenu d’un dossier médical.

Comment votre association est-elle née ?

« Elle a été créée en 1997, à la suite de la loi de 1994. À ce moment-là, la réforme essentielle du système de soins en milieu pénitentiaire a permis de transférer la question de la santé des détenus du ministère de la Justice à celui de la Santé, avec le principe primordial d’équivalence d’accès aux soins derrière et hors les murs. Ce fut aussi l’époque de la mise en place d’unités de soins dans les prisons, reliées à un hôpital de référence sur un secteur géographique.

L’organisation des soins est-elle complexe ?

« Les extractions, c’est-à-dire des consultations et examens à l’extérieur, relèvent souvent du casse-tête et du conflit d’agenda. Cela demande la mobilisation d’une escorte d’agents, de ne pas faire chevaucher des rendez-vous avec d’autres convocations judiciaires ou en même temps qu’un parloir…

Comme, pour des raisons de sécurité, un détenu apprend tardivement quand il sera extrait, nous devons régulièrement annuler au dernier moment. Les secrétaires déprogramment quotidiennement 30 % des rendez-vous.

Les détenus ont-ils accès à toutes les spécialités médicales ?

« C’est un principe d’égalité d’accès aux soins avec une prise en charge à 100 % pendant l’incarcération. Mais les patients incarcérés sont confrontés aux mêmes saturations des services de santé qu’à l’extérieur. Alors nous veillons à ce qu’au moins il n’y ait pas trop de retard de prise en charge.

La santé des détenus est-elle plus fragile ?

« Leur état de santé est plus vulnérable que celui de la population générale. Avec des problématiques somatiques et psychiques très fortes et, en face, un manque criant de moyens.

Et puis, reste ancrée l’idée qu’une personne condamnée ne devrait pas recevoir autant d’attention… Pourtant, pour nous, ce n’est jamais un casier judiciaire que nous recevons en consultation mais un être humain. »

Source : Ouest France

Cf. à Autour de la prison