Pour se reconstruire et retrouver un sens à leur vie, certains détenus créent leur entreprise à leur sortie de prison comme le montre une universitaire. Un choix toujours difficile avec des risques d’échec comme dans toute création d’entreprise, surtout en l’absence de soutien.

Fragilisation mentale, infantilisation, déresponsabilisation… Autant de difficultés auxquelles sont confrontés les détenus, non seulement au sein de la prison mais aussi en sortant. Pour reprendre la main sur leur vie, certains anciens détenus font ainsi le choix d’entreprendre pour essayer de se réinsérer. Enseignante chercheuse à la Montpellier Business School, Maryline Bourdil s’est penchée sur ces destinées peu ordinaires à travers une étude(1) parue en 2016. La chercheuse s’est entretenue notamment avec 11 anciens détenus, âgés de 31 à 61 ans, avec des durées de détention de 7 mois à 25 ans. Ils ont fondé leur entreprise dans des secteurs variés : la restauration, l’artisanat ou l’informatique. L’un d’eux est même devenu auteur de contes.

« Pour ces anciens détenus, la création d’entreprise a constitué un bon moyen de se reconstruire après la prison », assure Maryline Bourdil. Son étude souligne une volonté de continuer sa vie à travers l’acte d’entreprendre.  Cette résilience entrepreneuriale est accompagnée d’un profond besoin de liberté. « Je ne voulais pas travailler pour quelqu’un. J’ai fait une tentative mais ça n’a pas fonctionné », raconte Mohamed B., ancien détenu qui a créé un magasin de réparation téléphonique.

Seulement 25 % des sortants de prison réussissent à trouver une activité professionnelle régulière dans les douze mois après la sortie. Cette situation peut pousser certains ex-prisonniers à entreprendre pour créer leur propre emploi. En sortant de prison, Mohamed B. a d’abord été employé dans une entreprise de réinsertion spécialisée dans le recyclage. « Les entreprises de réinsertion s’adressent à des personnes peu qualifiées. Cela ne me correspondait pas , explique l’ancien détenu qui a passé cinq années au total en détention. J’ai une maîtrise en maintenance informatique et j’avais déjà monté une entreprise avant de tomber dans la délinquance. J’ai donc monté mon propre magasin ! »

Saisir une deuxième chance

Sur les 11 personnes interrogées, 5 ont choisi de fonder des associations, notamment pour apporter de l’aide aux anciens détenus. « La motivation pour créer son entreprise n’est pas forcement financière, affirme la chercheuse. Ces nouveaux chefs d’entreprise se débrouillent comme ils peuvent et il arrive parfois que certains retournent vivre chez leurs parents. »

La création d’entreprise constitue surtout une occasion de se rattraper et de montrer sa détermination à saisir une « deuxième chance ». Ne voulant pas être considérés comme « une charge pour les autres », certains souhaitent prouver à la société qu’ils sont capables de rendre service. L’entrepreneuriat est alors une façon de soigner son estime de soi et de reprendre en main son propre destin.

Culture de la débrouille

Malgré une détermination certaine, ces entrepreneurs au profil atypique sont confrontés à de nombreuses difficultés, notamment le manque de réseau. Lorsqu’ils sont incarcérés sur de longues périodes, leurs liens avec l’extérieur s’amenuisent. « Au fil du temps, les visites se font de plus en plus rares et les détenus sont progressivement coupés de leur famille et amis », raconte Maryline Bourdil. Ces créateurs d’entreprise compensent par de l’auto-efficacité : ils développent une personnalité prête à toute épreuve et une culture de la « débrouille », préférant ne compter que sur eux-mêmes.

Certains anciens détenus éprouvent également beaucoup de difficultés à entamer les premières démarches à la création d’entreprise, par exemple parce qu’ils n’ont plus de permis de conduire ou de compte bancaire. Pour Charlotte Prando, présidente de l’association Emergence 93 spécialisée dans l’aide à la réinsertion à Aubervilliers, « les démarches administratives sont très lourdes, surtout pour une personne qui n’a jamais eu à les réaliser de manière autonome. Je leur conseille d’être organisé, méthodique et de les faire étape par étape. »

Manque d’accompagnement et de qualification

La principale barrière à l’entrepreneuriat se trouve surtout dans le manque de qualifications et d’accompagnement des anciens détenus. L’étude montre l’absence de formation spécifique en entrepreneuriat pour les sortants de prison, notamment pendant la période d’incarcération, à la différence des Etats-Unis où des programmes de sensibilisation à l’entrepreneuriat sur neuf mois sont par exemple proposés dans certaines prisons du Texas.

« En prison, le niveau de qualification est très bas. La formation la plus qualifiante qu’on m’ait proposée concernait le secteur du bâtiment. Je pense que pour être capable d’entreprendre après la prison, il faut l’avoir déjà fait auparavant », revendique Mohamed B.. Lui-même avait ainsi déjà créé deux entreprises dans le câblage technique et le commerce.

Pour Maryline Bourdil, « il serait important de mettre en place un programme pilote consacré à l’entrepreneuriat dans une prison, quitte à l’étendre à d’autres prisons si cela fonctionne. » De telles initiatives commencent à apparaître en France. Quelques excubateurs de projets comme celui de la Chartreuse de Neuville sont promues par des grandes entreprises. Un Excubateur  est en projet en 2019 vise à changer la perception des personnes en réinsertion et à lutter contre la récidive en montant un programme d’accompagnement à la création et reprise d’entreprise, à destination des détenus.

Une entreprise accompagnée augmente ses chances de survie à cinq ans de 50 % en moyenne à plus de 80 % ! Les incubateurs, accélérateurs et autres programmes pour start-up se multiplient. A rechercher dans sa région.

1) Walid A. Nakara, Maryline Bourdil, « Entrepreneuriat et prison : une étude exploratoire sur la création d’entreprise par des anciens détenus », « Revue de l’Entrepreneuriat » 2016/2 (Vol. 16), p. 109-139.

Source : Les Echos