Arbi Madhaj, 41 ans, ex-détenu Albanais qui a passé 7 ans de sa vie en prison pour trafic de stupéfiants, a mis à profit sa détention pour inventer de toutes pièces un jeu destiné à informer les potentiels délinquants des affres de la vie carcérale.
Son jeu de société « RPS » (Remise de Peine Supplémentaire), sorti officiellement le 28 juillet 2020, est destiné à éviter aux plus jeunes la vie derrière les barreaux. Il est basé sur l’univers de la prison, le Code pénal et la prévention de la délinquance.
Placé de nombreux mois à l’isolement à la maison d’arrêt de Brest, il a commencé, «pour passer le temps », à noter sur des bouts de papier les délits et les activités qu’on peut faire en prison. « J’ai récupéré un Code pénal. J’ai appris, je n’y connaissais rien», se remémore-t-il. Et l’idée de créer un jeu de société a fait son chemin.
Arbi sort du centre de détention de Vezin-Le Coquet (35) , déterminé à réaliser son projet. «Je me suis dit : les conneries, c’est fini. On passe à autre chose. J’ai eu la chance d’être bien entouré et de frapper aux bonnes portes. La plupart du temps, la fin de la détention rime avec une sortie sèche, sans logement, ni projet professionnel.»
Il sort le 26 mars 2020 avec ses effets personnels et, surtout, un calendrier qui, ces derniers mois, s’est transformé en plateau de jeu de société, ainsi que des cartes réalisées avec les moyens du bord.
De l’idée à sa réalisation concrète et ses retombées
Le concept est simple : après avoir tiré des cartes leur annonçant la raison d’une condamnation et la durée de la peine, des joueurs avancent leurs pions sur un plateau qui représente les 52 semaines de l’année. Un cheminement vers la sortie, qui peut se retrouver considérablement perturbé par des cartes rouges, qui sont autant de sanctions disciplinaires rallongeant les peines. A contrario, chaque joueur peut bénéficier de remises de peines quand son jeton atteint une case verte.
Il est fier du travail accompli. Dans son jeu, le joueur se met à la place d’un détenu condamné pour un délit. Le but est de sortir le plus rapidement en bénéficiant de remise de peine. Un livret explicatif sur le Code pénal et des témoignages accompagne le plateau de jeu.
En quelques mois, Arbi Madhaj, qui n’a pas économisé son énergie, a réussi à convaincre beaucoup de monde de l’utilité de son projet RPS. Ces derniers jours, une centaine de boîtes sont sorties des presses de l’imprimerie Microlynx, à Rennes, sur du carton recyclé. «Arbi nous a contactés. Son projet nous a plu tout de suite», explique Stéphane Penalver, commercial dans cette imprimerie haut de gamme. C’est une belle aventure humaine. On ne pouvait pas passer à côté ».
Le pliage et le conditionnement du jeu ont été confiés aux Ateliers d’Insertion du pays rennais. «Notre association a été créée en 1966», explique Sylvain Rion, directeur de cette structure. Depuis le début, nous travaillons avec les détenus. Cela fait vraiment écho à ce que nous faisons au quotidien». Assises aux tables de pliage, trois ex-détenues de la prison des femmes de Rennes s’appliquent à ranger consciencieusement les éléments dans les boîtes, sous l’œil d’Arbi, visiblement ému de voir son projet pris aujourd’hui en charge par celles qui ont marché sur le même chemin que lui.
« On a lancé une première impression de cent boîtes », explique-t-il. Mais la demande est telle qu’on envisage le millier de jeux prochainement ». Ces demandes proviennent de toute la France et émanent surtout d’éducateurs spécialisés, de la protection judiciaire de la Jeunesse, de centres éducatifs fermés.
Au-delà de l’aspect ludique de la partie, le créateur espère passer des messages de prévention en s’adressant notamment aux jeunes. Arbi ira à leur rencontre dans les quartiers rennais dès la rentrée. Le jeu sera l’occasion de parler de la réalité de la vie carcérale. «J’ai connu ce milieu qui en fascine certains. Mais j’aurai un langage cash avec eux pour éviter qu’ils passent par la case prison.»
À chaque fois qu’un jeu sera vendu, 2 euros seront reversés à l’association Enjeux d’enfants Grand Ouest, qui accompagne les enfants aux parloirs pour rendre visite à un parent détenu.
«Je pense que RPS aura un réel impact dans les quartiers les plus sensibles que je connais bien, poursuit Arbi. Pour certains jeunes, la prison est un passage obligé dans le parcours d’un délinquant, une sorte de parcours initiatique. Il faut casser ces codes».
Un aspect des choses parle énormément à la Fondation «Agir contre l’exclusion», qui soutient fermement ce projet. «Nous intervenons en prison pour faciliter la réinsertion des détenus, souligne Rachel Gardize, de la FACE Rennes, qui a rencontré Arbi, derrière les barreaux. Mais aussi, sur le terrain, auprès des jeunes. En parallèle à la sortie du jeu, nous avons demandé à Arbi d’intervenir dans les cinq quartiers les plus sensibles de Rennes. Une quarantaine de rendez-vous sont calés jusqu’en août 2021».
Vente directe du jeu (89 €, frais d’expédition inclus) : www.rps-lejeu.fr
Contact : rps.lejeu@yahoo.com
(Sources : Ouest-France, Le Télégramme de Brest)