64 personnes détenues et des responsables de la prison du Havre ont couru contre la faim durant trois quarts d’heure le 22 novembre 2017 avec des responsables du centre pénitentiaire
Un défi sportif pour un projet Solidarité d’Action contre la faim
« Allez les gars, on ne lâche rien, il reste 15 minutes » crie Sidi-Ahmed, posté au bord du terrain de football en pelouse synthétique. Une trentaine de coureurs enchaînent les tours en haletant. Dans le froid du petit matin de novembre, les haleines se transforment en panaches de vapeur blanche. Certains ont parié qu’ils dépasseront la distance des dix kilomètres dans les trois quarts d’heure impartis, d’autres marchent pour participer à leur manière. Pour la beauté du geste et pour marquer leur soutien à une cause que peu connaissaient trois mois auparavant. Car la course se déroule au profit de la lutte contre la faim dans le monde. Le tableau serait presque banal – un défi sportif – s’il ne se déroulait pas dans une prison, au centre pénitentiaire du Havre.
Abdelkader, Aziz, Karim, Ibrahim, Nabil, Sidi-Ahmed et Yacine se sont mobilisés pour porter le projet Solidarité à bout de bras en à peine trois mois. Ils ont été soutenus par Anne-Christine Dufond de l’institut de formation Gepsa qui travaille en détention depuis près de huit ans. « Les barrières de la détention n’en sont pas pour réaliser un projet avec de la bonne volonté et de l’organisation, tout en respectant nos contraintes internes », explique-t-elle. « La détention n’est pas un frein à l’élan solidaire. À un moment de leurs vies, on ne leur a pas forcément proposé de s’investir pour d’autres personnes et là c’était l’occasion. Et ils ont eu envie de donner le meilleur d’eux-mêmes. »
Aziz renchérit : « Personne ne peut être insensible en entendant qu’il y a des gens qui meurent de faim ou qui vivent dans la pauvreté extrême. Chacun de nous a un parcours, une vie différente, plus ou moins difficile. On y a mis tout notre cœur. »
Des cadres de l’établissement pénitentiaire s’impliquent
Au milieu des détenus qui courent, Séverine Launay, la directrice adjointe accompagnée de quelques personnes de Gepsa Institut, marche. Par le passé, des événements sportifs avaient été organisés dans ce centre pénitencier. Construit il y a dix ans, le centre est relativement neuf et équipé d’installations sportives. Mais c’est la première fois que des membres de l’administration – comme le lieutenant du Travail et de la Formation ainsi que les agents du sport – se mêlent ainsi aux résidents de la maison d’arrêt et du centre de détention. « Dès le début, on a eu rendez-vous avec l’administration et ils étaient tous partants. Ça nous a touchés. Mme Launay a ouvert toutes les portes pour ce projet et elle nous a appuyés” explique Abdelkader. En regardant les coureurs, Yacine ajoute : « C’est la directrice, mais à ce moment-là on court tous pour la même chose. » L’événement abolit pour un temps restreint les frontières internes autour d’un moment de mobilisation.
Un délégué régional d’Action contre la Faim, Xavier, est venu en septembre sensibiliser les détenus en plein exode des populations rohingya au Bangladesh. L’équipe du projet a décidé de collecter des fonds pour participer aux interventions des équipes d’Action contre la Faim au Bangladesh. « Nous nous sommes mis à la recherche de sponsors en écrivant aux entreprises environnantes sur le modèle d’un tour égal un don mais personne n’a voulu s’engager. Vu que ça s’est très bien passé, j’espère que l’an prochain on pourra convaincre des sponsors », explique Ahmed. Les refus auxquels ont fait face les détenus ne les ont cependant pas freinés dans leur élan solidaire.
En tout, 2 200 € ont été collectés. 1 200 € de dons ont été récoltés auprès d’une centaine de détenus – coureurs ou non – auxquels l’institut de formation a ajouté 500 € pour l’ensemble des 1 236 kilomètres réalisés.
Parallèlement, l’équipe d’Action contre la faim a organisé un repas contre la faim, réunissant des magistrats et des membres de l’administration pénitentiaire, préparé par cinq stagiaires bénéficiant d’une formation professionnelle en restauration dans le cadre de démarches de réinsertion. Le repas a permis de recueillir les 500 € supplémentaires.
L’équipe espère pouvoir renouveler l’événement l’an prochain – et qui sait de le voir s’étendre à d’autres prisons – car comme Karim le conclut : « On reste humain, qu’on soit en détention ou dehors, on a toujours le même cœur, ça ne change rien. Soit tu es touché, soit tu ne l’es pas. Nous, on a été touché. ».
Source : Action contre la faim