Vécu carcéral, choc de la libération et continuité des soins.

« Journée nationale justice », organisée par la Fédération des acteurs de la solidarité
Thème : Accueil et accompagnement des personnes sortant de détention ou sous main de justice : quelles pratiques? quelles évolutions?
Paris, 15 mars 2019  (Programme)

Intervention d’Emilie Edelman, psychologue clinicienne,

J’interviens auprès des adultes et des adolescents dans le service de soins psychiatriques ambulatoires auprès des détenus  (SPAD) du centre pénitentiaire d’Aix-Luynes dépendant du centre hospitalier Montperrin. Ma pratique se fait auprès d’adultes et également d’adolescents, je suis référente des soins psychologiques auprès des adolescents incarcérés au quartier mineurs de la maison d’arrêt de Luynes  Je suis également membre  du bureau de la  ASPMP qui  est l’association  des secteurs psychiatriques  en milieu pénitentiaires qui se veut  une plate-forme d’échanges autour de la psychiatrie en milieu carcéral (cf site internet)

La demande qui m’a été faite est de dresser un tableau du vécu psychique  carcéral, post-carcéral avec ce moment pivot de la libération et de présenter  l’organisation des soins psychiatriques sur l’ensemble de ce parcours. Donc je vais vous proposer des éléments concrets de travail et également des éléments d’analyse et de questionnement qui sont issus de ma pratique  clinique.

Sur  cette question « quel accompagnement des personnes sortant de détention ? », en tenant compte des éléments psychiques, il est important de considérer  cette question de manière globale avec une continuité entre l’avant, le pendant et l’après, et de ne pas séparer soins en prison et soins après la prison.

Une personne qui sort de détention vient de vivre une période d’incarcération plus ou moins longue plus ou moins traumatique, mais aussi l’expérience de cette transition  vécue comme radicale qu’est la sortie de prison avec souvent des angoisses qui la précède et régulièrement  un vécu de déréalisation qui lui est concomitant.

L’impact psychique de ce parcours est certain, et il a à être entendu par nous tous, plus particulièrement par nous équipe de soins. En revanche il est vraiment important de se dire que cet impact psychique ne signe pas pour autant systématiquement  une psycho pathologie  qu’il y aurait à psychiatriser ; pour la plupart de sujets  qui sortent, de détention un accueil de qualité et la possibilité de laisser le temps au temps suffisent à  résorber cette souffrance psychique consécutive à cette incarcération, dont  il ne faut pas minimiser pour autant l’impact ; c’est-à-dire que ne pas psychiatriser ne signifie pas que cela n’existe pas .

Pour les sujets souffrants de troubles psychiatriques ou psychologiques, la pertinence de notre intervention auprès d’eux sera tributaire  tant de la qualité des soins en prison que d’une continuité des soins efficients à la libération.

Entre le dedans et le dehors, je vous parlerai aussi du moment de  préparation à la sortie, l’anticipation de la vie libre après l’incarcération étant régulièrement une opération psychique complexe ; ainsi se pose la question « qu’est-ce qu’être un sujet libéré ? » Au regard des points d’achoppement de ce parcours, notamment en ce qui concerne le choc de la libération, ou la réinsertion, comme une nouvelle inscription d’un sujet enfin libre dans la société, ne coule pas de source, voir le confronte à des impossibles qu’ils importent aussi d’entendre

Quelles prises en charge et lieux de soins ?

En milieu de détention, l’organisation des soins psychiatriques  est confiée au service public hospitalier, dans l’idée d’apporter aux détenus une indépendance et une qualité des soins prodigués. Ainsi les personnes détenues peuvent demander à rencontrer et à être accompagnées par une équipe de psychiatrie de secteur, qui se soutient  de l’éthique médicale (ce qui n’est pas le cas dans tous les pays). En 1994 a eu lieu le rattachement des soins en détention au service public des soins hospitaliers et l’affiliation de toutes les personnes détenues  au régime général de la sécurité sociale. Ainsi chaque établissement pénitentiaire est désormais lié  au travers d’un protocole à un hôpital de proximité chargé de dispenser à l’intérieur de la prison les soins nécessaires. Il existe donc une unité médicale qui est hébergée au sein de la prison, avec toutes les difficultés que cela peut poser puisqu’on est hébergé par l’administration pénitentiaire. C’est une sorte d’enclave  dans la prison. Cette loi en 1994 implique que les soins en prison respectent la déontologie propre au secteur médical. Elle a donc des conséquences quant à notre positionnement au sein de l’institution pénitentiaire et ce n’est pas sans effet clinique auprès de nos patients. Au-delà de l’aspect réglementaire, la confidentialité est un véritable outil de soins. Elle protège le dépôt de l’intime et rend possible l’émergence d’une parole singulière, qui est le socle des soins en psychiatrie, qui ne peuvent exister sans que la parole soit protégée. Il n’en demeure pas moins que le droit à la confidentialité concernant sa santé reste et demeure une difficulté majeure, une difficulté pratique en prison, du fait notamment de l’absence d’intimité et du panoptisme carcéral structuré (en fait les personnes détenues sont presque tout le temps visibles).

La plupart des équipes de psychiatrie en détention soutiennent l’instauration avec le patient d’une relation non aliénante dont il a l’initiative. Elles sont pluridisciplinaires et permettent en ce sens de bâtir autour du patient et en fonction de son état clinique une constellation de soins ; ces équipes ont un large champ d’intervention. En moment de crise, elles accueillent, prodiguent des soins, éventuellement prescrivent des traitements, proposent un étayage. Elles mènent également un travail au long cours, notamment de psychothérapie individuelle ou de groupe. Les soins psychiatriques  en détention s’organisent en 3 niveaux qui sont dispensés sur différents sites sur lesquels les patients sont transférés ou extraits en fonction du suivi que leur impose leur état mental.

Le niveau 1 concerne les soins en ambulatoire : proches  de ce qui est proposé en CMP,  les soins s’y déclinent  autour de consultations individuelles et d’activités thérapeutiques de groupe qui sont dispensées dans l’unité médicale.

Le niveau 2 concerne les hospitalisations de jour en SMPR (service médico psychologique régionaux) ; L’hospitalisation d’un détenu ne peut être qu’à l’initiative d’un psychiatre, pas de l’administration pénitentiaire. Hospitalisation libre, elle est subordonnée au consentement du patient qui souhaite bénéficier de soins psychiatrique plus resserrés en journée ; la nuit, il va être dans une cellule gérée par l’administration pénitentiaire.

Le niveau 3 concerne les hospitalisations à temps complet, nuit et jour. Les UHSA (Unités d’Hospitalisation Spécialement Aménagées) récentes sont des structures hospitalières dont la sécurisation périmétrique est gérée par l’administration pénitentiaire. Elles assurent tous types d’hospitalisations contraintes ou libres (nouveauté). Ce sont des lieux d’hospitalisations mixtes : hommes, femmes, adolescents. Elles ont été créées afin de permettre de meilleures conditions d’accueil et de soins pour ces personnes. Il y a eu une période de militance de nombreux soignants pour qu’il y ait une suspension ou aménagement de peines pour soins, plutôt que de permettre à ces patients de rester incarcérés en UHSA, mais force est de constater que les soins sont de meilleure qualité que ce que qu’ils pouvaient  être  auparavant. Pour certains patients  les psychiatres  préconisent une hospitalisation à temps complet  sur demande du  représentant  de l’Etat, les SDRE (soins sur décision du représentant de l’Etat), notamment si le patient présente un danger pour lui-même ou pour les autres en lien avec une symptomatologie psychiatrique ; l’hospitalisation se fait alors sous contrainte et ne nécessite pas  le consentement  du patient. Ces hospitalisations devraient prioritairement avoir lieu en UHSA mais, pour des raisons de manque de place, elles continuent à se faire en pavillon, en hôpital psy. L’accueil des patients n’est pas conforme au droit du patient, puisqu’il y a un manque de moyens actuellement en psychiatrie, qui fait que il n’y a ni d’agent pénitentiaire, ni de sécurisation par la police, et donc  la responsabilité du patient n’incombe qu’aux équipes soignantes qui sont en sous-effectifs, et donc  on en arrive à des hospitalisations en chambres d’isolement avec des contentions et de très courtes durées à la demande du patient lui-même qui demande à retourner en milieu carcéral.

Il existe aussi les UMD, les Unités pour malades difficiles. L’hospitalisation pour de tels soins hautement sécurisés se fait également en SDRE et doit être justifiée cliniquement, notamment par des éléments de dangerosité.

Point réglementaire à souligner : les soins en prison ne peuvent être imposés et doivent être librement  consentis, aucune contrainte ne devant se surajouter à la contrainte que représente déjà l’incarcération. Nous sommes donc vigilants à ce que les soins restent un espace de liberté et de choix pour la personne détenue.

Les conséquences psychiques de l’incarcération

Il est nécessaire de prendre en compte dans sa globalité la situation carcérale ; ne pas penser que la situation carcérale n’est qu’une privation de liberté. Loin de n’être que cela, l’incarcération est une peine d’emprisonnement qui correspond aussi une privation de la plupart des éléments qui font la vie normale d’un individu en société : l’intimité, la sécurité,  l’autonomie, l’affectivité, la sexualité, la confiance et la dignité sont atteintes. En ce sens, la prison modifie l’homme, tout homme. L’être humain est poreux à son environnement. En effet, nous nous construisons tous psychiquement et corporellement dès notre naissance et tout au long de notre vie en lien étroit avec notre environnement, matériel et relationnel, dans un mouvement permanent d’ajustement. Ainsi en enfermant le corps des détenus, la prison bouleverse leur rapport à l’espace, au temps et à leur corps propre.

Les  sphères identitaire, émotionnels, sensoriels et donc psychiques s’en trouvent affectés.

Les mouvements du corps sont contrôlés en prison dans leur trajectoire -on parle d’ailleurs de mouvements accompagnés- et dans leur expressivité.

 De son côté la sensorialité est soit hyper-stimulée, les sons et les odeurs sont exacerbés, quoique fort monotones, soit hypo-stimulés : la vue est réduite à un périmètre réduit, le toucher s’appauvrit ; en revanche, le regard de l’autre est sans cesse là, avec ce que l’on note comme modification la représentation de soi qu’a le sujet incarcéré.

 Le corps peut également être mis hors relation. Il devient alors un outil, un moyen pour le sujet d’obtenir quelque chose, parfois en l’attaquant, en le mutilant, comme signe de réprobation, parfois en y cachant des choses illicites. Le corps se muscle aussi,  gonfle pour la décharge procuré par le sport mais aussi pour l’image qu’il renvoie. A côté de cette hypertonicité, certains sujets deviennent hypotoniques avec des fatigues extrêmes et des pertes de tout terrain. On observe très souvent des insomnies d’endormissement corrélées à des consommations de toxiques.

 La temporalité en prison est chevillée quant à elle à la vie quotidienne  et se nourrit d’une répétitivité extrême ; les repères qui scandent le temps : douche, repas, promenade, parloir, dépendent de l’initiative d’un autre.

 L’espace est celui du confinement et du même : les couloirs les cellules, les mobiliers  sont partout pareils, l’espace se rétrécit, une petite marge de manœuvre est possible dans la manière d’habiter sa cellule si tant est qu’on soit seul en cellule et que la personne ne soit pas contrainte d’en changer régulièrement .

En milieu carcéral, l’émotion est assimilée tant par l’encadrement  que par le sujet lui-même à une forme de désordre : trop de joie, trop de peine, trop de colère susceptibles d’entraîner des problèmes de sécurité, mieux vaut donc la tenir à distance 

Le tout  début de l’incarcération est un moment potentiellement fragilisant pour le sujet, avec une recrudescence de tentatives de suicide, souvent à entendre comme actes de désespoir. Il arrive que les effets psychiques de l’incarcération laissent apparaitre un état appelé par certains choc carcéral, c’est-à-dire un trauma qui entre en résonance, et réactive les traumas de l’histoire du sujet ;il faut nommer ici certains aspects du versant anti-subjectif des pratiques pénitentiaires ou judiciaires dont un des impacts possibles est donc de déclencher ou de majorer des troubles psychiques, à l’instar de ce choc carcéral et ce d’autant plus quand les personnes sont fragilisées par des événements  de leur vie intime ou familiale.

Je vais vous énoncer quelques points de ce versant anti-subjectif qui participe à cet état de choc carcéral. Il faut savoir que  la prison est un lieu de privation de liberté qui porte à la fois à un assistanat et à une dépendance constante.

Sous contrôle permanent et vécu comme intrusif, ce sujet évolue le plus souvent dans une promiscuité agressive. Soulignons ici que l’encellulement est régulièrement à 3 dans 9 m². Cette promiscuité est facilitatrice d’humiliations, d’atteintes à l’intimité,  de violences imposées ou agies.

Les personnes sont souvent laissées dans l’incertitude  de leur date de libération, avec régulièrement des transferts brutaux vers d’autres prisons qui ne tiennent pas compte des liens et des relations qui ont pu être investis. Relevons également :

  • La durée de la détention provisoire, où on pourrait dire que le sujet est condamné à attendre.
  • La rupture fréquente avec les liens familiers
  • Une sorte de loi de la jungle, une loi arbitraire où les détenus se font la misère entre eux  par des logiques de domination.

 Cet état de fait demande de complexes réaménagements psychiques pour chaque personne, et là on observe que pour beaucoup de personnes développent, par différents mécanismes de défense, une capacité  à composer avec cette situation, en se transformant eux-mêmes dans leur fonctionnement. Mais ces réaménagements présentent cependant une limite absolue, celle où la prison n’est pas tolérée, essentiellement pour ces sujets choqués que l’incarcération renvoie irrémédiablement à un sentiment de perte insoutenable.

 L’existence carcérale devient alors source de détresse et d’annihilation des perspectives d’avenir. La détention est aussi vécue beaucoup plus douloureusement quand le sujet ne reconnait pas les faits, ce qui est assez régulièrement  le cas en détention provisoire ou qu’il se sent écrasé par une peine jugée démesurée. En effet, le défaut de sens de la peine est souvent exprimé comme une source supplémentaire de souffrance. Cela peut se traduire du côté de l’angoisse, notamment par exemple par des logorrhées anxieuses où la personne tourne en boucle dans un discours sans respiration concernant une parole qui n’a pas pu, à son sens, être entendue par la justice.

L’incarcération peut engendrer un isolement, prescrit par l’administration pénitentiaire (quartier pénitentiaire), comme c’est le cas pour un certain nombre d’AICS (auteurs d’infractions à caractère sexuel). Cette mise en isolement rend difficile l’inscription du sujet dans les activités collectives et le confronte parfois à un ennui abyssal. L’isolement de certains sujets est aussi à entendre du côté de leur position interne de repli sur soi où, d’une certaine manière, il n’y aurait plus aucune attente du côté de l’autre, se rapprochant d’un sentiment de désolation ; c’est ainsi que certains détenus en arrivent à produire des actes contre leur corps, devenu lieu extrême d’expression (TS, surconsommation de toxiques, scarifications..). La sanction de jours de quartier disciplinaire (sanction donnée suite à un jugement disciplinaire) relève d’un appauvrissement maximal de l’environnement (cellule dénudée, promenade dans un sas grillagé et seul). En ce sens, le spectre de cette désolation psychique s’y profile dangereusement, d’où d’ailleurs la visite obligatoire, dans des délais assez courts, de l’équipe de soins somatiques.

A côté de ces états psychiques générés donc par l’incarcération, les  éléments d’analyse statistique  et clinique révèlent que la détention peut potentiellement aggraver les troubles préexistants à l’incarcération et augmente les ruptures de soins. Les troubles préexistants  peuvent être variés. Ceci est d’autant plus lisible dans le cas, par exemple, de troubles psychotiques. Au-delà de stigmatisation souvent avérée, les détenus qui souffrent d’un trouble psychiatrique ont un accès plus limité au travail en milieu carcéral, et vivent particulièrement douloureusement l’effraction de l’intimité induite par l’incarcération, et sont souvent plus victimes de maltraitance. Ils sont également plus exposés aux mesures de confinement et d’isolement ; la durée de leur peine est significativement plus longue et les remises de peine plus rares ; quant aux suspensions de peines, elles ont exceptionnelles. Tout cela va constituer une toile de fond subaiguë sur laquelle s’inscriront des épisodes de décompensation délirante, dépressive, anxieuse, voire catatonique, c’est à ce moment qu’il peut avoir des hospitalisations à temps complet sur d’autres structures. L’enjeu majeur est de limiter ces effets boomerang de la détention  en construisant et en maintenant un lien thérapeutique avec les patients. Dans les conséquences psychiques de l’enfermement, on peut noter parfois comme effet le soulagement provoqué par l’incarcération, la prison mettant un coup d’arrêt à la progression affolante de la répétition d’actes transgressifs. Ainsi perçoivent-ils après coup la recherche patente d’une limite qu’ils ne pourront pas franchir –ce qui donne son sens à l’appellation « maison d’arrêt »-. En effet les murs de la prison peuvent induire momentanément un effet d’apaisement absorbant les manifestations d’angoisse. Tout le travail des professionnels est de leur permettre de se construire progressivement et prendre appui sur des….interruptions de l’enregistrement

Le moment de préparation de la sortie, période de jonction

Les analyses statistiques soulignent une surmortalité des détenus juste avant leur sortie. Ces résultats illustrent les difficultés liés au retour vers la communauté : trouver un logement, un emploi, rétablir des liens avec autrui, et parfois faire face à la consommation de substances psychoactives ; ce moment a donc à être préparé, pensé à la lumière de ces éléments qui sont forts préoccupants, voire inquiétants. Sur le plan clinique, le moment de fin de peine est un moment sensible. Déjà, la fin de peine  fait écho à ce qui l’a fait démarrer (la fin renvoie au début), remettant au-devant de la scène des éléments liés aux actes commis qui étaient souvent recouverts, notamment dans un élan défensif. On entend les effets psychiques qu’elle  suscite, notamment du côté de l’angoisse et de tentatives de réaménagements psychiques faits pour traverser cet évènement de la sortie. Je vous donne quelques éléments cliniques que j’ai pu relever au moyen de 3 paroles que j’entends de manière assez récurrente :

« Dehors tout ira mieux » : la sortie de prison est souvent très attendue, elle est fantasmée et imaginée comme le moment de toutes les libertés, image idéale qui se construit comme point de soutien au narcissisme du sujet. Bien sûr, la réalité est presque systématiquement décevante. La plupart du temps, les conditions de vie des personnes incarcérées se sont dégradées (perte de l’emploi, du logement, décès d’un proche…). Un désillusionnement brutal est fort difficilement négociable psychiquement, d’où l’importance de l’accompagner en amont dans cette douloureuse chute de l’idéal, accompagnement dans les soins, mais aussi au cœur de l’accompagnement social, au plus près des réalités factuelles de la sortie de prison.

« Ça rime à quoi de sortir » : l’incarcération, notamment quand elle est longue s’accompagne d’une rupture avec la société, avec les proches, avec ce qui constitue une réalité, mais aussi et surtout une rupture avec soi , avec ce que l’on se construit comme représentation de soi pour pouvoir fonctionner dans le monde. La libération, quant à elle, réactualise ce vécu de rupture en ce qu’elle est coupure d’avec les gens, les professionnels, les repères, un soi remodelé à la mesure des contraintes carcérales. En ce sens, l’idée de sortir peut imposer au sujet une expérience de l’inquiétante étrangeté, cette étrangeté de ce qui était familier avec ces questions : qui suis-je ?, qui m’attend ?, pourquoi  faire ?, ce qui n’est pas sans angoisse et sans sentiment de déréalisation.

« J’ai peur de sortir » : dans le monde extérieur, où il va s’agir d’être de nouveau ou pour la première fois acteur de sa vie, les limites ne seront pas aussi matérialisées qu’en prison. En ce sens, la fin de la période de détention correspond à la fin d’un étayage  possible sur les  fonctions contenantes protectrices, limitatrices de la prison. Nombreuses sont les questions « comment faire face au retour de tentations ? » « Comment se retenir en ne prenant appui que sur soi-même ? », valant comme indicateur d’une fragilisation interne du sujet. Les  somatisations et recours à l’acte (exemple des personnes assez calmes et qui n’arrêtent pas de régler leur compte dans les cours de promenade) sont autant de signes qui révèlent sous la forme de comportements  paradoxaux combien le moment de sortie peut être difficile à soutenir, au point parfois d’être activement reporté à plus tard (hospitalisation, actes prolongeant son incarcération …).

Le vécu post-carcéral

La libération peut être vécue comme un moment violent, un moment de choc. Seule une minorité de personnes bénéficie d’une insertion relationnelle capable de les soutenir matériellement, affectivement et socialement. L’accès aux droits et aux services restent laborieux.  C’est le plus souvent quelques semaines, voire quelques mois après la sortie, que divers symptômes peuvent apparaitre et font souvent suite à une période d’euphorie liée à la libération. Ces manifestations symptomatiques sont notamment anxieuses ou dépressives. Toutes causes confondues, le risque de décès durant la première semaine après la libération est multipliée par 30 pour les hommes, et par 70 pour les femmes. La plupart de ces décès ont des causes non naturelles, suicide, overdose, homicide. On ne peut pour autant exclure que ce processus de sortie de prison  puisse être résolument tourné vers l’avenir et vers la construction, notamment quand ce mouvement est soutenu et préparé.

J’ai choisi quelques expressions cliniques de la souffrance psychique chez mes patients sortis récemment de prison :

  • La désorientation temporo-spatiale qui vient en écho à ce que je vous disais dans la première partie. Les personnes sortant de prison peuvent se sentir en fort décalage, voire totalement perdus, alors même qu’elles s’adaptaient parfois impeccablement au système carcéral. Cela leur demandera du temps de retrouver le sens des réalités, de se faire à un rythme de vie bien loin de l’inertie et de la répétitivité carcérale, alors même qu’ils sont  animés d’un fort désir de rattraper le temps perdu. Certains sujets peuvent être durablement marqués par les repères rigides et ritualisés développés en prison (sortent et rentrent chez eux à heure fixe, ne s’éloignent pas trop de chez eux, difficulté à se projeter dans l’avenir même proche) ; de même, après de longues peines, prendre conscience que le temps ne s’est pas arrêté et qu’il est impossible de reprendre sa vie à l’endroit exact où on l’a laissée, ce qui est corrélatif d’ailleurs à la prise de conscience de son âge réel, sont des opérations psychiques longues et complexes.

  • La  difficulté d’être acteur. A l’extérieur, indépendance et autonomie sont fortement attendues, notamment dans le cadre des suivis socio-judiciaires, alors que même l’assistanat est de mise en prison. La responsabilisation dans ses proches choix est alors à reconstruire. Il ne faut pas s’étonner que certaines personnes gèrent et s’investissent difficilement dans leur quotidien. Un tableau d’une passivité non inquiétante au moment de la sortie.

  • La question d’une modalité  particulière dans la rencontre avec l’autre. Il faut savoir que la sensorialité, les émotions sont massivement remobilisés et peuvent être psychiquement mis à l’écart par des mécanismes de défense tel que le clivage, quand leur retour est trop déstabilisant. Le sujet parait alors hyper adapté dans un fonctionnement plutôt opératoire et assez froid qui laisse une impression de détachement, de distanciation dans la rencontre. C’est pourtant dans la relation à l’autre que peuvent s’apaiser et se remanier de tels mouvements défensifs, où l’on fera alors rarement l’économie d’une mise à l’épreuve du lien, de la confiance, de la parole tenue, bref de la qualité de la relation.

  • La question du regard et du jugement : c’est cette impression d’être sans cesse étiqueté comme ancien détenu.

  • Les angoisses et dépressions réactionnaires : il y a des dépressions qui sont souvent masquées. Elles ne prennent pas des allures de dépressions, mais prennent des traits caractériels, par exemple par des crises de nerfs, des exigences de contrôle et de perfection.
  • La difficulté concernant l’arrêt du traitement.

Structures où peuvent avoir lieu les suivis postpénaux   

Les injonctions de soins peuvent se dérouler soit en CMP, soit en lieu de consultations postpénales. La suite des soins est préparée par les équipes soignantes, aidées d’une assistante sociale.

  • CMP: inconvénient des listes d’attente, a du mal à s’adapter  à ce genre de public qui aura du mal à formuler sa demande de soins. Avantage : dispositif de droit commun,  le retour dans ce type de dispositif est important.

  • Consultations postpénales extra carcérales : Réactivité et adaptabilité liée à la pratique carcérale.

Il faut être vigilant afin de ne pas construire une filière de soins marginalisante et que ces lieux ne deviennent pas des lieux de contrôle social. Le médecin coordinateur  a pour rôle pivot de faire tiers entre la justice et les soins.

Source: Intervention enregistrée par un membre de la Fraternité des prisons ‘Le bon larron’