Un concert a été organisé en juin 2018 à la prison de Grenoble-Varces par les détenus eux-mêmes. Une première, portée par la salle grenobloise La Belle Electrique et le SPIP (service pénitentiaire d’insertion et de probation) de l’Isère, pour accompagner les détenus vers une sortie de la délinquance.

« On espère vous recroiser un de ces jours! ». Cette adresse de fin de concert lancée par un groupe de reggae à son public résonne différemment ici, dans le gymnase de la maison d’arrêt de Grenoble, où des détenus ont produit l’événement.

Si la musique entre souvent dans les prisons, ce projet porté par la salle grenobloise La Belle Electrique et le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) de l’Isère innove en faisant des détenus les programmateurs.

« J’ai eu le flyer, je me suis inscrit. Au départ, je croyais que j’allais assister à un concert, en fait il fallait le préparer ! Mine de rien, c’est du boulot », raconte Taha A., 28 ans, en détention pour 18 mois.

Le jeune homme, qui purge sa troisième peine, est vite devenu, avec Yémine et Alexandre, un « pilier » des ateliers préparatoires: programmation, choix de deux groupes locaux, production, technique, masterclass des musiciens avec les détenus, interview des artistes pour le canal interne de la prison.

Jusqu’au jour J où tous étaient sur le pont dès 7 heures du matin. « Taha a accueilli les artistes et s’occupait des loges, Yémine était à la régie son et Alexandre à la régie scène » aux cotés de professionnels du spectacle, explique Séverine Lévy, administratrice de la Belle Electrique.

Quand les balafons de Balani Sound System (1) commencent à faire vibrer l’armature en bois du gymnase, suivis une heure plus tard des beats de Disk-R (reggae), une quinzaine de détenus, dont deux mineurs, se mélangent aux personnels du greffe, du SPIP, aux animateurs. Et à la presse conviée pour l’occasion.

« Le peu de monde présent, ce n’est pas un échec mais un classique en détention », explique Alain Montigny, directeur du SPIP. Le gymnase n’est libre que le mercredi, jour des parloirs. Et renoncer à une des deux promenades quotidiennes, surtout en ces jours de canicule, « c’est compliqué ». Les décibels ont toutefois passé les murs et le bouche à oreille a fait le reste dans les coursives.

Pour ceux qui ont préféré le concert, « ça change » de la routine. Fabrice, 31 ans, a même reconnu dans le bassiste de Disk-R un voisin de sa petite ville qui l’avait souvent incité à venir le voir jouer. « Et bien, finalement, c’est lui qui est venu à moi », rigole-t-il.

Pour le groupe, cette première date en prison restera « marquante » et ils le « referont avec plaisir », accueillis par des détenus « pros et aux petits soins ».

Le concert a été l’occasion, aussi, de rencontres incongrues. Non loin du buffet de fruits et tartes aux pommes « maison », un détenu demande ainsi à sa voisine: « Et vous, vous êtes qui ? ». « La cheffe d’établissement », répond sans ciller Valérie Mousseeff, en fonction depuis septembre 2016.

Un des mineurs murmure sous cape qu’il la connait déjà, de la commission disciplinaire, « mais c’est mieux de se croiser comme ça… » « On casse les codes de la détention: je ne serre la main qu’aux agents d’habitude et aujourd’hui, à eux aussi », souligne Mme Mousseeff.

Elle a placé sa prison – en surpopulation de 150% –  dans une « dynamique de projets d’ouverture » avec comme objectifs la réduction de la violence et la réinsertion.

La Belle Electrique, dans sa démarche d’éducation culturelle et sa recherche de partenariats, a rencontré la volonté du SPIP « d’accompagner les gens vers la sortie de la délinquance ». « Ce qui nous a le plus intéressés, c’était toute la préparation », souligne M. Montigny.

« On voulait faire découvrir des métiers techniques qui ne nécessitent pas forcément de diplôme », abonde Marie Angleys pour la salle de spectacle.

De quoi imaginer « l’après », plus ou moins proche. Alexandre, que son entreprise attend après une parenthèse carcérale de 4 mois, a une place pour le concert de lundi à « la Belle ». Yémine, déjà une formation d’électricien en poche, renouera contact avec un des musiciens également technicien du son. Et Taha, tenté par une formation dans la cuisine, pourrait rejoindre une association.

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  • Balani Soundsystem propulse le balafon pentatonique dans le futur! Inspiré par les ambiances survoltées des cabarets africains, il prend source dans le répertoire musical d’Afrique de l’ouest.

Source : AFP-France 3