Dans le mensuel Parole et prière de janvier ou février 2019, j’ai été touchée par le beau témoignage d’une religieuse correspondante pour la Fraternité du Bon Larron depuis des années.

En lisant son article, j’ai aussitôt ressenti  comme un appel pour cette petite mission si discrète et invisible.

Je ne connaissais pas l’association et l’ai découverte en allant sur son site internet.

Mon objectif essentiel était d’apporter un peu de joie, de réconfort, d’amitié à une personne détenue et de participer à faire connaître notre Seigneur Jésus-Christ. Je voulais aussi apprendre à aimer inconditionnellement et à me libérer de l’a priori que je pouvais avoir sur les personnes en prison.

La rédaction de la première lettre a été laborieuse. Je pesais chaque mot. Je savais si peu de chose de mon correspondant. Comment trouver le juste ton, un sujet de conversation qui pourrait retenir son intérêt et lui donner envie de me répondre? Trouver la juste distance.

J’ai prié et me suis laissée guider par l’Esprit Saint. Et je suis tombée pile sur un de ses centres d’intérêt.

Je m’étais imaginée que mon détenu serait triste, qu’il me parlerait de son mal-être, de ses difficultés mais en fait il se focalise toujours sur le positif de sa vie ici et maintenant, sur ses activités et ses projets.

Parfois, je l’aide à trouver une adresse. Mais ce qui est beau dans nos échanges, c’est que chacun apporte quelque chose à l’autre. Il me donne des conseils. Il m’envoie des articles de journaux. Je partage avec lui des images, des blagues ou des prières.

Au fil des courriers, nous avons tissé des liens d’amitié fraternelle!

« Dieu est amour ». (1Jean4,8)

Caroline

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On me demande de témoigner de cette extraordinaire aventure que celle qui me lie à la Fraternité.

Tout est parti d’une émission radiophonique où j’ai pu entendre le témoignage d’un ancien détenu. Il y décrivait sa grande détresse, et le peu d’estime qu’il avait de lui-même, des autres, de la société : il se sentait un rebus auquel personne ne pense.

J’avais pourtant l’impression très naïve que Dieu se penchait sur ceux qui souffrent, sur les plus petits. Ce témoignage m’a bouleversée. Je n’ai pas compris pourquoi Dieu n’était pas présent au milieu de cet univers carcéral. Ma foi n’a pas vraiment été ébranlée pour autant, mais je voulais comprendre….

Et puis j’ai entendu : « Donnez-leur vous-même à manger » Oui, bien sûr. C’est là le chemin de la vérité. C’était à nous, à moi d’apporter quelque chose aux personnes en détention. Mon mari était très réticent à la chose. Bien sûr, les personnes contactées ne sont pas forcément des enfants de chœur, et il faut aussi penser à se protéger. Ne pas s’exposer, ne pas trop se rapprocher. Le fait que nous ayons un pseudonyme aide à se sentir protégé.  La Fraternité est là pour nous donner de précieux conseils au départ. Mais ensuite, c’est à nous de jouer, avec notre sensibilité, notre cœur, et sans doute l’aide du Seigneur.

Comment ai-je connu la Fraternité ? Peut-être par le biais de la communauté Saint Vincent de Paul, à laquelle j’avais adhéré.

Voilà maintenant six ans que je corresponds régulièrement avec des détenus. C’est une grande aventure que d’écrire pour la première fois à une personne totalement inconnue. Il faut bien garder à l’esprit les consignes. Et savoir quel est notre rôle. Cette relation est particulière. Nous devons quoi qu’il se passe garder un profond respect vis-à-vis de la personne.

J’ai pu correspondre avec trois personnes. Deux ont été libérées, et nos échanges ont cessés. Je suis très heureuse pour eux. Maintenant la personne à qui j’écris, Célestin, est condamnée pour une lourde peine. Je ne sais pas pourquoi, et cela ne me regarde pas. Cela fait trois ans que nous échangeons à raison d’environ une lettre par mois. Il est vrai que les lettres sont très attendues.  Ce qui ressort de ces échanges, c’est la grande souffrance de ces personnes en général. Une souffrance qui ne semble pas dater du début de l’incarcération.  C’est souvent un parcours de vie tellement douloureux. Il faut faire très attention, nous ne sommes pas là pour être curieux, pour connaitre ce que l’autre a réellement vécu. Je me vois plutôt comme une oreille attentive et bienveillante. Rien de plus. Cet anonymat doit être rassurant dans les deux sens. C’est-à-dire que la personne qui m’écrit peut écrire ce qu’elle veut.  Elle peut dire la vérité, ou des mensonges. Je ne juge pas. Elle n’a pas à se justifier, à persuader. Elle fait comme elle veut. Je veux surtout être là pour encourager, pour montrer qu’il est autre, enfant chéri de Dieu, comme moi, comme vous, comme nous tous. Mais malgré tout, mon rôle n’est pas de convaincre. Célestin n’est pas du tout croyant. Ce n’est pas à moi de le convertir par la persuasion. Je le remercie lorsqu’il me dit être tolérant envers ceux qui croient. Tant mieux. Voilà une petite porte entre ouverte, dans laquelle je peux parfois expliquer ce que je vis ou je ressens. Mais pas plus. C’est plutôt ma compassion envers lui qui doit être le témoignage du Christ.

J’ai remarqué qu’à chaque fois qu’une toute partie de moi pense être mieux que lui, parce que ma situation est meilleure que la sienne, ou pour toute autre raison, les mots ne sonnent pas justes, et la relation n’est pas aussi bonne. Alors, c’est moi qui dois me corriger, en baissant la tête, et en me faisant humble. A cette seule condition, la confiance revient. Souvent les personnes qui ont vécu des choses aussi difficiles sont comme des écorchés. Alors elles sont plus sensibles que les autres. Il faut faire attention à ce que l’ont dit, ce que l’ont écrit, et ce que l’on pense aussi. C’est là qu’est le Seigneur. Au cœur des écorchés. Et tout écorché qu’il est Célestin, c’est lui qui me permet de me dépouiller de mon orgueil.

« Donnez-leur vous-même à manger »

Lorsque Célestin me raconte par exemple les injustices qu’il subit (ou a l’impression de subir) j’écoute sa plainte. Il sait que je ne le critiquerai pas. Et comme il peut me raconter ce qu’il veut, je pense que cela l’apaise d’avoir une amie à qui il peut dire sa peine. Peu importe ce qui est vrai ou pas. Si je peux apporter un peu de baume à son cœur, c’est toujours un peu de violence désamorcée. Parce que les personnes incarcérées sont comme les autres : un immense besoin d’amour, de tendresse, de compréhension inconditionnelle. Et je vous assure que c’est à moi parfois que cela fait le plus de bien ! Parfois, c’est lui qui « me donne à manger » !!

Lorsque je me demande quelle attitude avoir vis-à-vis de lui, je pense : « Comment aurait réagi Jésus s’il l’avait croisé sur sa route ? » A ce titre, j’aime relire les merveilleux livres de Maria Valtorta  L’évangile tel qu’il m’a été révélé . C’est une source inépuisable d’inspiration. Les choses sont tellement simples. Amour, compassion. Et aucune amertume, aucune rancœur. Rien de tout cela. Il faut bien balayer dans tous les recoins de son être pour être sûr que l’on s’est bien dépouillé de toute souillure qui peut vite blesser.

Si l’on se demande parfois pourquoi il y a dans ce monde des histoires difficiles, on ne peut pas répondre à cette question. Mais une hypothèse serait que c’est pour aller chercher ceux qui ne souffrent pas, et les amener à être vraiment vivants.

Sylvie.

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Voilà déjà quelques mois que j’entretiens une correspondance avec François, détenu dans une maison carcérale française. Dans l’exercice de ma profession paramédicale au cœur des « quartiers » j’avais rencontré une jeunesse déshéritée qui fréquentait régulièrement la prison. En dehors de leurs égarements ces jeunes étaient pour la plupart ancrés dans des familles mais perdus. Malgré la peur que certains m’inspiraient j’avais envie de leur tendre ma main. Je le faisais timidement. Trente ans après, lors d’un séjour dans un monastère de carmélites, ouvertes au monde et aux plus démunis, ce désir de tendre la main est remonté à la surface.
Mon intime  conviction est que la prison devrait être un lieu pour apprendre à se réparer des actes graves qui ont été commis, pour retrouver une dignité et l’espoir de continuer  un chemin de vie bon et constructif. Pour cela toute aide est bonne à prendre. Dans ma prière j’ai trouvé l’énergie pour m’engager. Alors je me suis rapprochée de la communauté du Bon Larron et la correspondance avec François a commencé.
Ces lettres que j’envoie le plus régulièrement possible je les écris avec le cœur. J’essaie d’y mettre de la bonté, de l’énergie positive, de la beauté. J’essaie de me laisser inspirer par Celui Qui Jamais N’abandonne. J’essaie d’y joindre un petit texte poétique trouvé dans une revue, une carte postale. Envoyer un peu d’air frais, un rayon de soleil, des encouragements.
Les lettres de François sont plus rares. Il y a infiniment de pudeur à dire les difficultés. Je les devine. Je ne connais pas vraiment  François et souvent, je n’ai pas le sentiment de répondre à ses attentes. Il y a infiniment de retenue, pas de plainte. Et chacune de ses lettres a encore plus de valeur.
J’ai entendu son désir de sortir de prison meilleur qu’il n’est rentré. Quel courage et quelle belle espérance. Cela m’a profondément émue. Et me donne la joie de poursuivre cette correspondance. Cet ami particulier, je le porte dans mes pensées, mes prières. Et je crois que lui aussi. Dans le mystère de ces échanges l’Esprit circule. Nous sommes deux êtres humains unis par un lien vivant. Je rends grâce.

Hélène.

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