Seul, Jésus pouvait m’atteindre, moi, le paumé.

Ce dont je suis témoin, c’est de la miséricorde de Dieu que j’ai expérimentée depuis ma conversion. Je suis né dans une famille ouvrière. Mon père était communiste. Ma mère a pourtant insisté pour que ses enfants soient baptisés, mais je n’ai jamais eu d’instruction religieuse.

Très jeune, vers 11 ans, j’ai commencé à faire des fugues à cause de la mésentente de mes parents et parce que dans ma famille, je me sentais mal accepté.

Un jour, vers 12-13 ans, voulant les mettre au défi, j’ai pris des barbituriques très forts. Un m’a transporté à l’hôpital dans le coma: c’était ma première tentative de suicide.

Mes parents étaient très malheureux. Ils m’aimaient, mais ils ne savaient pas comment me donner cet amour, étant eux-mêmes déjà trop séparés par leur discorde et leurs antécédents: mon père rentrait de captivité, ma mère avait eu une enfance difficile. Alors, j’ai continué à faire la route.

A 13 ans, j’avais fait mon premier tour de France en stop. Arrêté pas mal de fois par la police, je me retrouvais dans des centres pour mineurs délinquants où mes parents venaient me rechercher.

A cet âge, j’ai commencé à goûter à la drogue: ma première cigarette de marijuana achetée a un touriste anglais qui rentrait d’Espagne sans le sou. Je me suis trouvé complètement abasourdi, des cloches sonnaient dans ma tête; ça m’avait pas mal marqué.

Puis, au fil des années, j’ai continué avec des garçons et des filles fréquentant ce milieu. A l’âge de 15 ans, avec un copain, ce fut mon premier trafic entre la Turquie et la France. Petit trafic, mais assez important pour nous donner des émotions fortes au passage des frontières. Partis avec 50 francs, chemin faisant on a pillé pas mal de bourses parce que Ton était des petits voyous. Et j’ai continué, car une fois qu’on a trouvé de la drogue, on passe tout son temps à y trouver son plaisir.

Le milieu de la drogue, c’est un milieu vide, parce qu’on est rempli de soi-même. On pense qu’on va trouver tout en soi et on y trouve que la solitude, la désillusion.

Moi, je vivais dans l’illusion mais, à ce moment-là, je ne le savais pas. Quand on est entre nous, on arrive encore à se défouler, à s’amuser, mais dès que l’on se retrouve seul à se droguer, c’est l’angoisse: rien de solide pour nous propulser. On écoute de la musique, mais ce n’est pas épanouissant, parce que ce n’est pas naturel. On s’enferme là-dedans, ça nous mène à la connaissance de choses qui nous encombrent et qui nous empêchent de cheminer.

A 18 ans, arrêté à Milan pour trafic de stupéfiants, j’ai pris deux ans de prison. C’est au bout de ces deux ans que j’ai rencontré le Seigneur. J’ai passé les huit premiers mois dans la partie des détenus de droit commun. Ambiance dure parce qu’on y était mélangés avec des délinquants de délits assez graves.

Alors que nous, qui nous considérions des marginaux, on se droguait uniquement pour pouvoir vivre notre liberté et en jouir. Après, on nous a transférés où étaient entassés les drogués, les travestis, les détenus politiques et ceux de haute surveillance. Quartier aussi corrompu que le reste: la mafia y était présente et il y avait autant de drogue et de facilité d’en avoir qu’à l’extérieur en liberté.

On continuait donc à se droguer de façon même abusive: L.S.D tous les jours et autres stupéfiants assez forts. Quand on en manquait, on s’injectait tout ce qu’on trouvait (cognac, café, etc.) parce qu’on avait la folie de la drogue. C’est ce qu’il y a de diabolique dans la drogue: c’est fascinant.

On croit que ça vous libère, alors que ça nous empêche de voir la vérité qui transparaît dans la solitude des frères que l’on rencontre: on s’emprisonne dans sa solitude.

J’étais en cellule avec des jeunes de 25 à 27 ans. Tous avaient eu une expérience spirituelle: route des Indes, la Catho, écoles où on leur avait un peu dégrossi la mentalité humaine: les faiblesses et les forces de l’âme. Quand ils parlaient entre eux, je me moquais d’eux.

Un jour, l’un deux m’a dit: «Mais tu ne crois pas aux miracles!›› A ce moment, j’ai pris conscience que j’étais vraiment paumé, acculé, et il fallait que je réagisse. J’ai répondu: «Ben oui! Je crois aux miracles! » Mon premier gros mensonge en même temps que mon premier acte de foi, parce que je me suis rendu compte par la suite que cela signifiait: Oui, je crois en Dieu. J’avais associé le mot miracle au nom de Dieu.

Dans la cellule, un garçon ne cessait pas de répéter: << Il y a 2000 ans que je souffre pour vous! >›, il revenait des Indes, ou il avait rencontré gourous et grands sages, mais, revenu de tout cela, il proclamait une sorte de Christ mystique.

Il y avait aussi des poètes qui parlaient de Dieu et du Christ à la radio, ce qui créait un climat plus ou moins chrétien. Petit à petit, j’ai pris conscience que Dieu c’était quelqu’un qui existait réellement, et qu’il avait quelque chose à me dire à moi, complètement paumé.

Une autre étape importante: Noël. Un des gars de la cellule nous a proposé d’aller à la messe au centre de la prison. Les prisonniers n’avaient pas le droit de communier, mais tout le monde pouvait y assister.

Ce jour-là, on avait tous pris du L.S.D. très pur. C’était la première fois que j’en prenais une dose aussi massive. Là, j`ai pris conscience de ce que j’étais: pas grand-chose dans mon illusion, alors j’ai commencé à envier ceux qui, autour de moi, arrivaient à se trouver bien dans leur peau. Et moi, j’étais mal dans ma peau. Malgré notre état second, on y est donc tous allés.

Moi, je n’avais jamais vu de messe et, là, pour la première fois, j’ai vu le prêtre élever l’hostie. Je ne savais pas ce que cela voulait dire. Je ne savais pas que je naissais dans cette Eucharistie.

C’est là où pour la première fois j’ai rencontré le Christ, où je l’ai vu réellement sans savoir qui il était.

J’ai eu le coup de foudre: je suis tombé amoureux de cette scène. La révélation de quelque chose de puissant que je ne savais pas définir, mais avec le pressentiment que ça allait influencer toute ma vie.

Quand je repense à cela, j’ai toujours la présence de cette scène où je vois le prêtre qui élève l’Eucharistie. C’est aussi fort que l’instant le plus heureux qui marque le plus dans la vie.

Alors, j’ai découvert que j’étais petit, mais en même temps qu’il y avait l’immensité de Dieu; je suis reparti de cette messe avec la conviction qu’il fallait que je fasse quelque chose. Ces choses me parlaient tellement fort que je ne pouvais les abandonner. Mais, j’étais en prison, il fallait aussi que le Seigneur me désintoxique. J’avais une vie très chargée dont j’étais fier, car à mon âge peu de gens avaient fait tout ce que j’avais vécu.

Il a fallu que, du jour au lendemain, j’abandonne la drogue et la sexualité

J’étais un loup parmi les loups, un enfant lancé dans la mêlée. Quand on a 15 ans et que l’on vit avec des gens de 50 ans, on ne peut pas dire qu’on a une enfance, une adolescence.

Manque de drogue, j’ai commencé à flipper, et je me suis retrouvé à l’hôpital psychiatrique de la prison. On n’avait pas de médicaments, on était seulement attaché sur un lit 12 heures par jour. Le reste du temps, on était lié par des chaînettes et traités comme des bêtes.

Un autre détenu était chargé de nous et quand ça n’allait pas, il nous battait à coups de nerfs de bœuf, d’autres étaient passés à la douche froide. Cela remonte à 1970 à la prison psychiatrique de Reggio Emilia.

Tout cela a commencé à me sensibiliser. Je me suis dit: Il y a de la haine et peu d’amour. Et petit à petit, j’ai pris conscience qu’il fallait que je fasse quelque chose pour occuper ma vie, j’ai commencé à prier.

Je sentais un appel à me convertir. A cette époque, je ne me proclamais pas chrétien, ne sachant même pas ce que cela voulait dire. Je ne savais pas trop pourquoi, mais je priais. Je précise qu’à l’époque de mes fugues, mes parents m’ont mis dans une pension tenue par des Frères des Écoles Chrétiennes où avant chaque cours on nous faisait prier le «Je vous salue Marie›› et le «Notre Père». Je les avais oubliés, mais ils réapparaissaient dans ma vie.

Au service militaire, j’ai été réformé pour motif psychologique. De fait, j’étais fou de Dieu ! Il m’a demandé de tout couper: ne plus revoir mes anciens amis, ne plus rien faire que des choses pour lui. Parce que j’avais besoin de penser, de vivre d’une autre façon, besoin d’aimer et d’être aimé. J’étais encore trop fragile et le Seigneur le savait, alors il m’a préservé.

C’est une longue histoire d’amour qui a duré des années car je vivais seul avec lui. Comme je ne travaillais pas, je vivais un peu comme un clochard sans domicile fixe et je passais beaucoup de temps dans les églises devant le Saint Sacrement. La seule chose que j’ai su dire, inlassablement des heures et des heures durant, c’est le chapelet, en le méditant et en essayant de me rapprocher le plus possible de Dieu.

Sans comprendre la profondeur de ces mots, j’y mettais tout mon cœur en disant: « S’il y a quelqu’un qui m’écoute, il y mettra la paix et le bonheur». De fait, j’avais la paix et le bonheur parce que je n`avais rien d’autre que Dieu. J’avais aussi la Bible (j’en avais volé une avant ma conversion !)

En ayant décidé de prier, je venais d’arrêter définitivement la drogue et les autres perversions que j’avais connues. Le Seigneur m’a amené au désert, il m’a séduit et je me suis laissé séduire. J’étais heureux. J’avais connu un tas de choses abominables, mais je ne connaissais pas la Beauté de Dieu. .

J’ai essayé de marcher d’un cœur pur avec Lui et de Lui donner chaque instant de ma vie. Lui me donnait beaucoup. Il m’enseignait, et tout ce qu’il me disait, je le voyais confirmé dans l’Église où, petit à petit, j’ai reçu mon enseignement. J’ai fait ma catéchèse dans les églises en participant d’innombrables fois aux baptêmes, aux mariages, aux cérémonies de sépulture et en écoutant les prêtres célébrer la messe.

D’autre part je m’étais consacré à Marie, je ne priais que par son nom et elle a dû me prendre en charge dès le début. Elle m’a montré comment Dieu se fait connaître à ceux qui l’aiment.

Petit à petit, je me suis laissé imprégner par l’amour du Seigneur dans les sacrements, à travers les prêtres, à travers la communauté des fidèles, et j’ai commencé à sentir la dimension ecclésiale de Dieu.

Je passais aussi mon temps sur le Parvis de Notre Dame. Des jeunes en vacances passaient, je les emmenais dans tous les hauts lieux de prière (rue d’Ulm, rue du Bac, le Sacré Coeur, enfin partout !), car petit à petit, les églises étaient devenues ma maison d’habitation, les seuls lieux où je trouvais de la joie, et pouvais dormir (parce que c’était chauffé !).

Là, j’étais inondé par le Saint Sacrement et les moments où j’ai le plus reçu, c’est certainement quand je dormais dans les églises. J’avais Dieu comme ami, Dieu comme témoin de ma vie. Alors, qu’il avait commencé à me parler seul à seul dans le désert. Après, il m’a parlé dans l’Eglise où il m’a donné un enseignement nouveau. ll m’a dit: «Cette Eglise, c’est à toi, c’est à tes frères, je te 1’ai confiée, et tu lui es confié.›› Là, j’ai senti ma famille pour la première fois. Des gens capables de m’écouter, même si je ne parlais avec personne. Le Seigneur s’est chargé de me montrer que les frères avaient autant d’importance que lui, sinon plus parce que au moins on les voit.

Puis, au long de mon cheminement, je me suis rendu compte qu’autour de moi, il y avait des clochards. En parlant avec eux, j’ai découvert que ce sont des types d’une très grande présence, très fidèles dans leur amitié une fois qu’on est dans leur confiance. J’ai découvert aussi qu’ils avaient leur sagesse, leur philosophie. Je me suis rendu compte qu’eux aussi étaient capables d’un amour très puissant: ce qu’ils possédaient, leur anéantissement, ils étaient capables de le donner.

Alors, j’ai décidé de sortir de ma condition de clochard et de faire quelque chose pour eux. En 24 heures, j’ai trouvé du travail et un logement: homme de ménage dans un foyer de jeunes travailleurs. Le premier soir de mon travail, je suis parti avec une gamelle d’une popote que j’avais faite, quelques vêtements pris chez moi et j’ai fait ma première tournée en leur distribuant de quoi subvenir à leur faim de la nuit.

J’ai fait ainsi tous les soirs pendant trois mois. C’est là que, pour la première fois, j’ai pris conscience que j’étais chrétien. Je leur apportais du pain, mais aussi mon témoignage sur l’amour et la miséricorde de Dieu.

Je pouvais leur dire: « Moi, mon gars, j’étais comme toi et puis le Seigneur est venu me chercher, voilà qu’il est en train de faire de moi une créature nouvelle, renouvelée dans l’Esprit et dans ma vie ». Cela était important parce qu’ils m’avaient vu mendier sur la zone, ils savaient que c’était le même type qui revenait leur apporter à manger et qui témoignait du Christ qui l’animait.

Ils découvraient que le Christ les aimait à travers d’autres personnes, et moi je découvrais que le Christ m’aimait à travers tous ces clochards. J’ai reçu d’eux une présence, un don du Christ, parce qu’ils étaient pauvres. Cela m’a beaucoup secouru dans ces moments-là.

Je continuais à travailler et commençais à m’épuiser. Tous les soirs entre 21 heures et 2-3 heures du matin, je faisais ma distribution de ce que je récupérais sur les marchés et il ne me restait que très peu de temps pour dormir.

Au bout de trois mois, n’étant pas tellement aidé, j’ai décidé d`arrêter. De plus, par un décret, la police interdisait de donner à manger aux clochards si on ne leur procurait pas un lieu d’hébergement.

Mais mon coeur n’a pas arrêté de battre pour les clochards, j’ai continué une oeuvre d’apostolat par la prière, j’ai commencé à découvrir les bienfaits de la messe quotidienne et de la communion. Je dois dire que la première fois que j’ai communié, j’ai senti l’appel à y aller, en même temps un besoin de ne pas y aller: je savais que j`étais dans un état où je ne pouvais pas recevoir Jésus. J’y suis quand même allé. Le Seigneur a commencé à me guérir intérieurement. Après, je suis allé me confesser.

Mais, je ne pouvais pas rester clochard du Seigneur pendant toute l’éternité. Alors, j’ai voulu dnner ma vie au Seigneur. Je voulais rembourser ce que le Seigneur m’avait donné.

Alors, que je priais dans l’église de ma paroisse, on m’a conseillé d’aller dans un groupe de prière charismatique.

Entre-temps, ayant revu le copain avec qui j’avais fait tous mes voyages, j’ai rechuté dans la drogue pendant deux mois. Mais, le Seigneur m’a donné d’arrêter très vite. Par cette rechute, il m’a montré combien j’étais faible et que j’avais besoin de lui. Je me suis rendu compte que tout ce qu’il avait fait en moi, était motivé. Parce que je n’avais eu aucune moralité, il avait fallu qu’il me reprenne à la base, qu’il m’apprenne ce qu’était l’amour, le mariage, le baptême, respecter toutes ces choses, respecter la vie. J’étais comme un nouveau-né, comme obligé d’être enfanté une nouvelle fois. Tout cela, le Seigneur me la fait voir après.

Je commençais à découvrir qu’il fallait aussi donner à ma vie une dimension horizontale, m’épanouir à travers les frères et pouvoir aussi m’appuyer sur une communauté. Je suis donc allé au groupe de prière à Saint Bernard et, là, j’ai découvert une nouvelle façon de prier. Là, on m’a conseillé une communauté d’accueil, car j’avais encore pas mal de blessures à guérir.

A Laurac, j’ai trouvé des frères qui ont été guéris. Le Père de la communauté m’a dit en partant: « Va te réconcilier avec ta famille et avec le monde ». C’est ce que j’ai cherché à faire jusqu’à ce jour. Petit à petit, j’ai découvert la prière de Jésus, l’oraison et les communautés chrétiennes. En dernier lieu le Chêne de Mambré où je vais prier tous les week-ends, ce qui m’apporte cette dimension d’Eglise et de fraternité dont j’avais besoin.

J’ai eu souvent à témoigner de ce que je vivais avec le Seigneur, car il m’avait pris d’un lieu où lui seul pouvait m’atteindre, parce que plus personne ne le pouvait, même ma mère quand elle pleurait.

Maintenant, dans ma vie de prière, je me sens une dimension missionnaire: la messe bien sûr, Marie et puis peut être un jour la consécration dans le mariage, ou bien le célibat, peut être au service d’une communauté ou si le Seigneur m’appelle vers la vie contemplative. C’est ce que je vis maintenant avec mes forces et mes faiblesses. Voilà ce que le Seigneur fait dans ma vie.

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D’après mon témoignage donné à Ourscamp en l980, édité dans le livre du père Daniel Ange : « Les saints de l`an 2000, pourquoi les massacrer ? »