Groupe de parole thérapeutique au CSAPA de Gagny

Le tribunal de Bobigny (Seine-Saint-Denis) propose aux délinquants victimes d’addictions d’intégrer un programme thérapeutique intensif plutôt que de passer par la case prison. Ils sont 43 à avoir relevé le défi depuis le lancement du dispositif en 2015 avec le Centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA) à Gagny.

« Quand je suis arrivé ici, en septembre dernier, je ne disais pas un mot », explique Marwan, trentenaire au visage débonnaire, jogging élimé. « L’alcool m’assommait complètement. Ça se voyait, d’ailleurs : j’avais beau planquer ma bouteille de whisky, mes mains tremblaient… Tout le monde comprenait. » Dans une autre vie, l’alcool et la cocaïne l’ont fait sombrer. « Tu voles pour t’approvisionner et, après, c’est une spirale sans fin. » Les convocations judiciaires se sont accumulées, toutes ignorées par l’intéressé. Jusqu’à son interpellation chez lui, aux aurores, un matin de décembre 2016. « Sous les yeux de ma petite dernière, ça craint », glisse-t-il, pas fier. Direction : la maison d’arrêt de Villepinte pour y purger trois ans de prison. Exit les addictions ? « Pas du tout ! Il y a de tout en prison… » 

Après dix mois de détention, Marwan s’est vu proposer un nouveau « deal », selon ses mots, mais cette fois à l’initiative du service de l’application des peines. Le contrat est clair : intégrer un programme thérapeutique intensif durant douze mois en échange d’un placement immédiat en semi-liberté.

Convaincue du bien-fondé de la « jurisprudence thérapeutique » lancée en Amérique du Nord, Christiane Taubira a décidé de décliner le concept en France à partir de l’été 2015. « Il s’agit de prendre en charge, de façon approfondie, l’addiction ayant valu à ces individus de comparaître à plusieurs reprises devant la justice », décrypte Mélanie Leduc, juge d’application des peines au tribunal de Bobigny.

Deux objectifs et un programme clair

L’objectif est double : s’attaquer aux addictions doit permettre, d’une part, de venir à bout de la dépendance et, dans un second temps, d’enrayer la récidive. Le programme ne s’adresse qu’aux seuls récidivistes, et plus spécifiquement à ceux pour qui les sanctions sont, jusque-là, restées sans effet (2).

Le contrat est clair : on lui offre la possibilité d’intégrer un programme thérapeutique intensif durant douze mois en échange d’un placement immédiat en semi-liberté. Durant un an, ils ont l’obligation de suivre six heures d’activités quotidiennes, le tout sous la supervision d’une infirmière, d’un groupe d’éducateurs, d’un psychologue clinicien et d’une conseillère d’insertion et de probation. Marwan égrène son agenda du jour, serré : groupe de parole thérapeutique, sport et atelier de remédiation cognitive. « J’ai besoin de travailler la mémoire, j’ai beaucoup perdu, soupire-t-il. Demain, j’ai un entretien avec le psychologue, un rendez-vous avec une association d’aide au retour à l’emploi et j’enchaîne ensuite avec un atelier d’observance thérapeutique. »

À ces journées bien rythmées s’ajoute un rendez-vous mensuel chez la juge. L’occasion de faire le point sur l’évolution de chacun des six condamnés accueillis actuellement à Gagny. « Je jauge l’implication de chacun dans le dispositif. Je les encourage aussi, c’est essentiel pour qu’ils reprennent confiance en eux et aillent de l’avant. » Un point d’étape qui, parfois, débouche sur l’exclusion de ceux qui ne jouent pas le jeu et renouent avec la violence. Dans ce cas, un aller simple vers la prison les attend.

Une « reconsommation » d’alcool ou de drogue – le mot « rechute » est proscrit – ne vaut en revanche pas forcément exclusion du programme. « L’écart d’un jour ne préjuge pas forcément de la suite », justifie Valentine de Lanouvelle, la conseillère d’insertion en poste au centre. « Un individu peut craquer avant de se relancer ensuite dans une dynamique positive.

Le thérapeute Vincent Dusuel ne dit rien d’autre : « Nous cherchons à stabiliser la consommation pour, ensuite, la diminuer. Et ce en poursuivant des objectifs progressifs et atteignables. » Et en menant un travail de fond sur l’origine de la dépendance, « en mettant des mots sur les traumatismes ayant jalonné leur vie, en les aidant à mieux gérer leurs émotions ». Nombre d’entre eux souffrent de troubles anxieux, d’où l’intérêt d’une prise en charge pluridisciplinaire à la croisée du social, du médical et du judiciaire.

Un bilan provisoire encourageant

Au final, seule la moitié a suivi le programme à son terme, les autres ayant renoué avec la délinquance. Des résultats décevants au regard des moyens déployés (3). Ce taux de réussite doit toutefois être ramené à celui de la récidive des sortants de prison, qui avoisine les 60 %. « Et c’est sans compter que nous accueillons des profils présentant, au départ, un risque élevé de réitération », rappelle un encadrant.

Dans ce contexte, les résultats obtenus sont jugés plutôt probants par les pouvoirs publics. Suffisamment en tout cas pour que l’École nationale de la magistrature (ENM) lance une formation sur le sujet. C’est ainsi que des dispositifs s’inspirant du projet pilote de Gagny essaiment aux quatre coins de l’Hexagone (à Soissons, Beauvais, Dieppe, Lyon, Chalon-sur-Saône ou encore Fontainebleau). La plupart de ces programmes se révèlent toutefois moins contraignants que le projet pilote, s’organisant autour de rendez-vous hebdomadaires, voire mensuels, et non quotidiens.
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(1) Le prénom a été changé.
(2) Seuls les auteurs de délit de moyenne gravité sont éligibles au programme.
(3) Le programme est financé par l’Autorité régionale de santé, l’Administration pénitentiaire et le Fonds de prévention de la délinquance.

Source : La Croix par Marie Boëton, le 10/7/2018