Méditation

Les lignes qui précèdent sont marquées par la souffrance humaine et par les misères de la vie. En somme par ce qui arrête le regard. Le regard est arrêté car l’intelligence, le cœur, ne supportent pas le scandale de ces ultimes atteintes à la liberté que sont les souffrances et la mort. Les philosophes depuis l’Antiquité ont cherché à leur donner un sens, mais le plus souvent nos sens les refusent. Nous avons tous le droit à la vie, mais si brièvement. Alors pourquoi, et pour qui, souffrir ?

Si ceux qui cherchent à mieux connaître l’homme, qui scrutent les esprits et les âmes, qui interprètent l’histoire et font la leçon derrière un microscope ou une lunette géante, se prenaient à regarder par le gros bout de la lorgnette, ils verraient moins bien les détails et le journal de 20 heures perdrait peut-être son audience, mais nous nous verrions tels que nous sommes vus par Dieu : il ne voit ni la paille ni la poutre. Il voit ! La métaphore du canevas est ici plus parlante : l’envers avec les nœuds et les bouts n’a rien d’une œuvre d’art ; mais l’endroit est harmonieux.

Les religions et leurs penseurs s’évertuent à. transmettre l’élan qui permet, lorsque nous souffrons, d’utiliser cette souffrance comme un tremplin pour élever l’âme.

Jésus lui-même sur la croix dit en un ultime soupir « tout est consommé ». Plus tard, le grand apôtre Paul confiera à ses amis de Colosse : « Je complète en ma chair ce qui manque aux épreuves du Christ pour Son corps qu’est l’Eglise » (Col 1-24). L’espérance chrétienne, celle des martyrs, s’illustre le mieux dans l’épitre aux Romains. « Les souffrances du temps présent ne sont pas à comparer à la gloire qui doit se révéler en nous (Rm 8-18) ».

En 1982, hospitalisé en psychiatrie pour la sixième fois depuis mon incarcération, je fis une tentative d’évasion et sautai du toit d’un pavillon de deux étages. A l’arrivée, ma cheville droite était éclatée. Soigné et souffrant, je reçus la visite d’une amie qui me conseilla d’offrir mes souffrances pour le Liban alors en guerre. Je me suis dit qu’elle ne savait pas ce qu’elle racontait. Cette parole, peut-être dite pour meubler un silence trop pesant, fait aujourd’hui partie de ma prière quotidienne. Ni la douleur ni la joie n’ont le droit d’être gratuits : j’offre à Jésus par Marie celles qui n’ont pas été données.

Marie la toute pure, Marie l’lmmaculée Conception, reçoit sur ses genoux la dépouille de son Jésus au pied de la croix. Désormais sa mission est de rester au pied de toutes croix pour offrir au Père des Miséricordes tous les sacrifices de bonne odeur en prévision du jour où nous paraîtrons devant l’Agneau immolé.
Celui-là même qui livra sang et eau et nous fera paraître devant le redoutable tribunal de Dieu, et nous pauvres pécheurs seront heureux d’y retrouver Marie notre puissante Avocate consolant le cœur de notre victime. Dans cette attente, que notre âme bénisse Dieu pour les merveilles qu’il fait pour son humble servante, Elle qui présente nos pauvres prières embellies par ses trésors d’amour, de vertus, de louanges et d’adoration devant la gloire de Dieu.
Paraître devant Dieu porteur de tous les péchés du monde : l’amour et l’obéissance de Jésus vont jusque-là. Il va même jusqu’à rejoindre l’homme dans son enfer, cet enfer qui est l’état spirituel de la créature la plus éloignée de l’amour divin. Jésus lumière inaccessible, amour incommensurable, s’abaisse jusqu’au niveau des ténèbres de la haine. « Ainsi la mort fait son œuvre en nous, et la vie en vous » (2 Co 4-12.). Tel est le pouvoir de l’amour : il échange les vies. Celui qui aime vit l’existence de l’aimé comme la sienne au point de lui transmettre la force et la lumière de son amour. Il assume en retour ténèbres et mort.

Une de mes amies avait sa maman gravement atteinte dans son mental ; durant trente-cinq ans elles souffrirent l’une et l’autre. Cette Maman fût internée plus de quinze ans et elle mourut dans une solitude, un enfermement, un vide total. Mon amie s’adressant à Dieu, disait : « Si vivre ainsi peut avoir une signification, je te demande que Maman meure le jour de la fête de la Transfiguration. Et c’est ce qui arriva en effet. Marie n’existe pas pour Elle-même. Elle vint au temps fixé par Dieu pour donner au fils de Dieu son humanité. Elle était là au jour des noces pour dire aux fils adoptifs : « Faites tout ce qu’il vous dira ». Elle est là au pied de la croix pour recevoir le disciple que Jésus aimait : « Femme voici ton fils, fils voici ta Mère ». Elle est là, persévérant dans la prière avec les apôtres au jour de la Pentecôte. Le Saint Esprit venant irriguer le nouveau corps du Ressuscité : l’Eglise, Le Saint esprit fabriquant les anticorps naturels de l’Eglise et Marie étant l’antibiotique.

A Lourdes, le 24 février 1858, la Sainte Vierge Marie disait à Bernadette Soubirous : « Pénitence, pénitence, pénitence. Vous prierez Dieu pour les pécheurs. Aller baiser la terre pour la conversion des pécheurs. Allez boire à la fontaine et vous y laver. Vous mangerez de cette herbe qui est là». Voila, le ton est donné. Tout recevoir comme venant de la parole de Dieu nous fait garder le contact avec Lui. Mais là où la démarche était d’attribuer à Dieu les souffrances dues à nos désordres et de l’en remercier, Marie reprend l’initiative comme Reine du peuple de Dieu… Pour pourvoir à nos besoins de sainteté, « Elle donne à ceux qui librement se consacrent à Elle de la confiture pour tartiner nos croix » (Saint Louis-Marie Grignon de Monfort) :
– Voulez-vous vous offrir à Dieu pour supporter toutes les souffrances qu’il voudra vous envoyer en acte de réparation pour les péchés par lesquels Il est offensé, et de supplier pour la conversion des pécheurs ?
– Oui, nous voulons bien.
– Vous aurez donc beaucoup à souffrir, mais la grâce de Dieu sera votre réconfort (Marie à Fatima le 13 mai 1917).

La souffrance est devenue communion spirituelle ; oblation, obéissance amoureuse ; achèvement de la Rédemption opérée par Jésus. Lorsque nous triomphons du mal, c’est Jésus qui est vainqueur en nous, et nous coopérons au nom de tous les frères et sœurs qui chutent sur le chemin : « Et ils requirent pour porter sa croix Simon de Cyrène, le père de Rufus et Alexandre, qui passait par là en revenant des champs » (Mc 15-21).

La croix est la rédemption de l’univers. Elle est la force des croyants, la terreur des démons et la gloire des anges. O Croix, tu es notre force dans le combat (hymne du vendredi Saint). Toi le malade, toi le prisonnier, par la grâce du sacerdoce baptismal nous vous offrons par l’unique médiateur, Jésus, pour la plus grande gloire de la Très sainte Trinité. AMEN.