Le détenu est soudain seul avec sa faute quand il arrive en prison.
Guillaume Monod, psychiatre en milieu carcéral, témoigne de la solitude des personnes qui arrivent, témoignage sollicité par Madeleine Vatel.

Madeleine Vatel : Pour certains détenus, la souffrance est saisie par la découverte de Dieu. La détention peut-elle être un lieu de conversion ?

Docteur Guillaume Monod : La majorité des gens en prison sont des gens ordinaires. Et ils ne parlent entre eux de leurs affaires que quand ils commencent à se faire confiance. Donc, dans les premières heures et les premiers jours de détention, ils sont seuls avec leur faute. Ils n’ont plus rien, plus personne, pas même leur avocat. Par défaut, il faut bien qu’ils trouvent quelqu’un vers qui se tourner… Et c’est souvent Dieu.

M.V. : Et dans cet isolement, il leur répond ? 

Dr Guillaume Monod : C’est quand même le cœur du message biblique ! C’est pour cela que le Christ est venu. Cela n’entre pas en compte dans ma pratique mais moi-même je suis protestant. Prenons ceux qui ont commis par exemple un homicide involontaire, un feu rouge grillé et un accident mortel. Devant Dieu, ces détenus peuvent reconnaître qu’ils ont commis une faute. Avec le Christ, ils peuvent être rachetés, repêchés, sauvés. La transgression complète – ils ont tué quelqu’un – ne veut pas dire pour autant qu’ils ne méritent plus de vivre. Un jeune qui est en détention pour vente de cannabis est dans une logique commerciale, illégale, mais il savait à quoi s’attendre, il y a une sorte d’aménagement moral. Mais le père de famille qui a roulé vite, renversé quelqu’un, doit reconnaître ses erreurs : il aurait pu ne pas boire, être vigilant. Et souvent, il n’arrive pas à passer à autre chose. La personne est morte, la vie de la famille est foutue.

M.V. : Les détenus en appellent-ils souvent à plus grand pour parvenir à porter leur faute ? 

Dr Guillaume Monod: Il y a des détenus qui, dans ce drame, vont tout remettre en cause, y compris leur croyance. D’autres vont demander un aumônier alors qu’ils n’étaient pas croyants. À leur sortie de prison, un certain nombre restent dans le mouvement spirituel qu’ils ont démarré dans ces murs.

M.V. : À quoi ressemble ce recours à Dieu en prison ? 

Dr Guillaume Monod: Jusque dans les années 1920, un détenu avait l’obligation de déclarer sa religion et d’en suivre le culte. Les prêtres avaient un rôle fondamental. La personne pouvait entrer en confession, reconnaître sa culpabilité et travailler sur cette culpabilité. C’est un accompagnement spirituel qui va bien au-delà d’une pénitence, et d’une discussion sur le paradis. Il y a un véritable échange. Le détenu peut s’entendre dire que les choses ne sont pas si simples, que mourir ne sert à rien, que nos péchés ont été pris par le Christ. Dans l’accompagnement, il se dit que l’homme est faillible, qu’il n’est pas Dieu, et que chacun peut un jour faire des conneries. Et c’est un message qui est très fort !

M. V. : Comme psychiatre, en quoi votre écoute est-elle différente ? 

Dr Guillaume Monod : Un psychiatre est obligé de garder une distance. Il peut avoir de l’écoute, de l’empathie, mais il ne peut pas aller trop loin dans cet échange. Contrairement au médecin qui a une relation duale, le prêtre n’est jamais seul avec cette personne, il y a toujours la présence divine, un médiateur. Ce lien permet l’empathie, voire une certaine affection, sans exclusivité car il y a toujours ce tiers qui est l’Amour divin. Le prêtre peut convoquer la transcendance, ce que le psychiatre ne pourra jamais faire.

Source: La Croix, quotidien du 16 avril 2021