Olivier Py met en scène des pièces de théâtre jouées par des personnes en détention. Le projet : leur redonner de la dignité grâce à la culture. Le théâtre transforme le détenu et lui permet d’envisager autrement sa sortie de prison.

Après avoir joué Antigone dans le gymnase de la prison du Pontet, neuf personnes détenues ont quitté quelques heures le centre pénitentiaire pour jouer Hamlet au festival « in » d’Avignon dans la prestigieuse salle Jean-Vilar. Une première.

Lancé il y a trois ans par le directeur du festival, Olivier Py, ce projet inédit a métamorphosé les condamnés embarqués dans l’aventure. Il leur a fallu apprendre quatre-vingts pages de texte, travailler seul en cellule.


Jean-Michel (à genou) répète son rôle de Hamlet avec ses codétenus de la prison du Pontet.

« Je me suis perdu sur des rives sauvages. Il n’y a d’autre coupable que moi-même », se lamente Créon, comprenant sa fin proche après avoir refusé à Antigone d’enterrer son frère Polynice. Déclamé par Jean-Michel, boule à zéro et tatouages en pagaille, le texte de Sophocle prend une dimension toute personnelle. Car le quadragénaire s’est perdu, lui aussi. À sa façon. « J’ai quelques années de prison derrière moi… et encore un peu devant », soupire l’intéressé en cet après-midi moite de juillet, après avoir joué la célèbre tragédie grecque devant ses codétenus.

Depuis la création, il y a trois ans, d’un atelier théâtral à la prison du Pontet par Olivier Py, ­Jean-Michel avoue ne plus être le même. « Franchement, ce que j’ai réussi dans ma vie, ça se compte sur les doigts d’une main…Mais ça, je l’ai fait. » Ça ? « Apprendre de grands textes, dominer mon trac, persévérer. »

Olivier Py ne nie pas la violence de la prison, les barreaux, les appels incessants pendant les mois de répétition dans le gymnase à proximité des sacs de frappe des boxeurs mais le directeur du festival d’Avignon est ému quand « une centaine de codétenus se lèvent : c’est fort et ça contribue à leur rendre la dignité perdue, voire même de l’humanité ».

La directrice adjointe du centre pénitentiaire du Pontet pense à l’insertion des détenus avec des formations aux métiers du spectacle, le montage de décor, l’électricité. Fabienne Gontiers qualifie de réussite la découverte d’Antigone, Prométhée, Hamlet: « ce groupe a même demandé à emprunter l’Illiade cet été ».

Une façon de récompenser la persévérance de la troupe, explique-t-on côté judiciaire. Olivier Py récuse, lui, toute « volonté caritative » et salue le talent, bien réel, de ses acteurs amateurs : « Ils ont un style de jeu combatif, ample, une violence spontanée dans le jeu. On retrouve chez eux ce que les Grecs appelaient l’agôn, le combat de la parole et de la pensée. » Leur présence scénique stupéfie en effet.

Tout comme leur évolution. « Certains, qui ne voyaient plus le bout du tunnel en prison, se remobilisent grâce à l’atelier », note Fabienne Gontier, directrice adjointe de l’établissement. Libéré entre-temps, l’un d’eux a même intégré le conservatoire. Autre mérite, très indirect, de ce projet un peu fou : aider des détenus à gagner en introspection. Et ce via la confrontation aux grands textes du répertoire tragique. « La tragédie questionne la condition humaine en explorant le devoir, le sens de l’existence, la dignité, la mort, explique Olivier Py. Je savais que tout cela leur parlerait… »

Nordine reste toutefois peu loquace sur le sujet. S’il a évolué, c’est surtout sur l’image de la femme. Et pour cause, c’est à lui qu’on a confié le rôle féminin d’Antigone. Niet catégorique au départ. Il a fallu batailler pour le convaincre, lui expliquer qu’il en allait ainsi dans la Grèce originelle – où les rôles féminins étaient dévolus aux hommes – pour qu’il se fasse à l’idée. Changement de ton aujourd’hui. « Je ne joue pas la femme, je porte la parole d’une femme. Et ce qu’elle dit est absolument universel… Antigone, c’est une rebelle à l’injustice, un peu comme moi. » Pas d’allusion aux délits qui lui valent d’être en prison – que Nordine paie et assume – mais plutôt à son enfance défavorisée : « Gamin, je rêvais de faire du théâtreMais dans ma cité, c’est foot ou boxe, rien d’autre. Il a fallu que je me retrouve ici pour pouvoir en faire… » Un discours qui fait écho à celui d’Olivier Py, qui voit dans la prison « une profonde injustice sociale ».

Chez Jean-Michel, la tension monte avant la représentation. Une vague mauvaise conscience aussi. « Jouer au festival, c’est fou pour moi, mais je ne suis pas sûr de mériter autant. Quand je pense à tous ces artistes qui galèrent dehors… » Pas simple, après des années à l’ombre, d’assumer les projecteurs.

Sources : France Bleu, La Croix