Sylvain Lhuissier, auteur du livre, « Décarcérer » (1) entrepreneur social de 29 ans co-fondateur de l’Agence du travail d’intérêt général, nous incite non sans humour à la réflexion sur la prison.

Petit sondage…

Sauriez-vous dire où se trouve la prison la plus proche de chez vous ? Combien de personnes y sont enfermées ? Si ce sont des hommes, des femmes ou des enfants ? Est-ce que leur temps de détention se compte en semaines ou en années ? La prison est un endroit dont on parle peu et que l’on connaît très mal, un espace où la plupart d’entre nous ne pénètreront jamais.

Même quand on ne la voit pas comme une annexe du Club Med, et que l’on a déjà conscience de la surpopulation, bien des idées préconçues tombent. Non, les prisons ne regroupent pas que des condamnés : 42 % des personnes détenues en maison d’arrêt sont en attente de jugement. Non, les prisons ne sont pas remplies de criminels : cela ne concerne que 1,5 % des peines d’emprisonnement prononcées. Non, la prison ne protège pas la société : à la sortie, le taux de récidive s’élève à 59 %.

Quelle solution alternative à la prison ?

Quand on critique l’emprisonnement systématique, on se voit souvent rétorquer : « Que proposez-vous de mieux ? ». Sylvain Lhuissier fait avec cet ouvrage la preuve qu’une autre sanction est possible.

L’objectif n’est pas de désigner un coupable, mais de comprendre pourquoi rien ne change gouvernement après gouvernement ; d’identifier comment chaque acteur, d’un bout à l’autre de la chaîne, participe à maintenir le système en place ; mais surtout de questionner comment nous tous, citoyens, représentons à la fois une part de la responsabilité et un levier possible du changement.

Sylvain Lhuissier propose de vider les prisons au lieu d’en construire de nouvelles, de réinventer les peines plutôt que de restaurer les cellules vétustes.

On sait depuis longtemps que la prison est une solution inefficace contre le crime, mais quand elle s’applique en grande partie à des milliers de personnes qui n’entrent pas dans la catégorie des criminels, ne faut-il pas revoir collectivement notre copie ?

« Face aux deux idéologies qui se taxent de ”sécuritaires aveugles” et d’“angéliques laxistes”, je me situe du côté du pragmatisme qui consiste clairement à décarcérer », explique Sylvain Lhuissier. Avec à la clé des outils comme le travail d’intérêt général qui a fait ses preuves en matière de « désistance » –, le processus par lequel une personne quitte la délinquance.

L’auteur

Issu d’une fratrie de quatre enfants dans une famille aisée, Sylvain Lhuissier doit à ses parents sa sensibilité sociale : ce couple des Yvelines, engagé auprès d’ATD Quart Monde, reçoit à la maison bénévoles et personnes accompagnées par l’association. Le baby-sitter des enfants est un ami qui a passé des années en prison pour meurtre. « Une personne pourtant géniale », se souvient-il.

Le lycéen hésite entre des études de droit et d’ingénieur – comme ses aînés, qui le pressent de suivre la même voie « pour ne se fermer aucune porte ». Après une prépa, il intègre l’École centrale où il ne se sent pas à sa place. « À notre cercle de privilégiés, il était répété que, en dirigeant de grandes entreprises, nous allions faire vivre l’économie du pays. Mais le vivre-ensemble, la lutte contre les inégalités sociales et la conscience sociétale n’étaient ni dans le projet éducatif, ni dans la tête de beaucoup d’élèves », résume-t-il.

Sa route croise le Groupement étudiant national d’enseignement aux personnes incarcérées et Sylvain Lhuissier suit alors chaque semaine un jeune homme à peine plus âgé que lui, incarcéré pour plusieurs années : « Il avait tué quelqu’un involontairement lors d’une soirée trop alcoolisée qui s’était mal terminée. Une faute grave, mais pas intentionnelle. »

En dernière année de Centrale, il décide de devenir entrepreneur social : « Au lieu de monter une société, capitaliser et la revendre le plus cher possible, l’objectif est d’avoir un impact social », ­explique-t-il. Il crée en 2014 l’association Chantiers-passerelles : « Plutôt que d’aider à s’insérer des personnes qui sortent de prison, il me semblait plus judicieux d’arrêter de mettre en prison des personnes qui n’ont rien à y faire parce qu’ils ne représentent pas un danger pour la société. Nous avons donc travaillé sur le développement du travail d’intérêt général (TIG), une peine qui oriente vers un travail non rémunéré auprès d’une mairie, d’une association ou d’une entreprise. »

L’association Chantiers-passerelles

L’association propose le lancement d’une plateforme numérique pour établir un lien entre le conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation (CPIP) et les structures susceptibles d’accueillir des personnes en TIG. Mais elle se voit rétorquer qu’elle n’a pas à s’occuper des systèmes informatiques de l’État. Chantiers-passerelles s’emploie néanmoins à inciter les organismes et collectivités à s’engager en faveur du travail d’intérêt général. Elle forme des tuteurs et accompagne des personnes en fin de peine pour construire la suite de leur parcours.

En 2017, l’association approche les candidats à l’élection présidentielle pour les sensibiliser à cette démarche. Emmanuel Macron promet une Agence du travail d’intérêt général, qui sera bel et bien lancée en 2018. « Je ne sais si l’idée de sa création est sortie de notre chapeau ou pas, mais nous avons apporté notre pierre », estime ­Sylvain Lhuissier.

Lui-même a rejoint cette « Agence du travail d’intérêt général et de l’insertion professionnelle », au sein du ministère de la justice. Son activité a depuis été touchée par le confinement. « Il est trop tôt pour dresser un bilan, poursuit Sylvain Lhuissier. Mais la plateforme numérique dont nous rêvions est accessible aux professionnels de la justice et sera ouverte dans quelques mois aux organismes d’accueil. »

Sources : Ed. Rue de l’Echiquier, La Croix

(1) « Décarcérer. Cachez cette prison que je ne saurais voir » Rue de l’Échiquier, 128 p.,
Version numérique : 5,99 €, version papier : 10 €.