A quoi sert (vraiment) la prison ?

 La parole est donnée aux détenus en Belgique par
l’AVFP
B (Association des visiteurs francophones de prisons belges)
et la CSPL (Conseil de surveillance de la pénitentiaire Lanvin)
dans le cadre des Journées Nationales de la Prison 2018 !

  • R.
    La peine de prison prononcée à mon encontre a été, pour moi, le pire moment de ma vie. J’ai développé des sentiments de vengeance envers la justice et envers la société. Au départ, j’ai nourri ces sentiments, mais j’ai commencé, et ce durant les premières années de détention, à me remettre en question, à faire un vrai travail sur moi-même. J’ai réfléchi sur ce que j’avais fait et, pour la première fois, j’ai ressenti des regrets.

Je crois avoir vraiment compris et changé. Mais le temps passe et rester enfermé 23 h sur 24 pendant de longues années sans projet, trop souvent sans travail et sans activités intéressantes, me fait affirmer que la prison ne sert à rien sinon à infliger des souffrances et à développer des idées de vengeance ou des illusions, car ce n’est pas la possibilité de jouer au ping-pong ou au kicker de temps en temps qui va me permettre de sortir meilleur et mieux armé pour réintégrer la société.

Ma peine de prison ne peut malheureusement pas effacer la peine des victimes, mais elle pourrait rendre la punition utile et efficace.

Le temps passé derrière les barreaux devrait être valorisé par des formations et l’apprentissage d’un métier afin qu’à la sortie on puisse trouver un travail.

L’avancement des dossiers est aussi problématique, que ce soit pour se voir accorder une permission de sortie pour effectuer des démarches, un congé pénitentiaire ou une libération conditionnelle. Les retards, pour l’obtention de ces mesures, s’avèrent de plus en plus importants. Ce n’est plus un droit institutionnalisé et un devoir pour le détenu de s’y préparer. Pour empêcher les détenus de rêver  à ce qu’ils n’auront pas ou du moins pas immédiatement, il faudrait que ces mesures soient effectives à la date prévue. Il faut donc anticiper les suivis pour être prêt au moment voulu.

La désespérance de certains détenus, vu les reports successifs, les pousse trop souvent à « aller à fond de peine », aigris  et revanchards par rapport à la société et prêts à la récidive, et trop souvent plus dangereux à la sortie qu’au moment de leur entrée en prison.

Les peines, en Belgique, devraient être revues, car souvent trop lourdes en comparaison avec les pays voisins, et devraient être vécues dans des conditions dignes et plus humaines.
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  • P.:
    Je suis sans projet de réinsertion malgré mes tentatives de rencontrer les personnes qui sont censées m’aider. Il n’y a rien qui avance. Si les détenus n’ont aucun projet abouti à leur sortie, pas de travail ou de formations, pas de logement, pas de moyens financiers suffisants, c’est normal qu’ils récidivent. Pourtant le détenu devrait avoir un suivi régulier d’une psychologue, d’un assistant social et ce, dès l’entrée en prison. De plus, pour beaucoup de détenus qui ne savent ni lire ni écrire, la direction, l’assistant social, … pourraient les aider à donner sens à leur projet. Mais dans toutes les prisons, l’absence de plan de détention hypothèque la réussite de la réinsertion et le retour dans la société.

La vie en prison est aussi pénible car trop souvent rythmée par les provocations des agents et la pression de certains détenus. Il manque aussi d’activités en prison, de contacts avec d’autres intervenants de prison : cela éviterait de faire des conneries. Les occupations artistiques, par exemple, seraient utiles pour développer nos capacités et apprécier le beau. La plupart des détenus ont souvent décroché des études très tôt, ils sont « ignorants » : organiser des cours, permettrait un « rattrapage ».

Les agents devraient participer aux activités et à la formation pour pouvoir les partager avec les détenus dans un respect mutuel.

L’aide sociale pour les plus pauvres est insuffisante. Comment un détenu peut-il vivre décemment avec 15 € par mois, comme à Saint- Gilles ? Dans les autres prisons, c’est 40 €, 45 € et ces dernières sommes sont à peine suffisantes pour l’achat de produits d’hygiène et pour occuper le temps « vide » avec la TV qui coûte 20 € par mois

… car tout se paie.

Rester seul des heures, des jours durant crée nervosité, souffrances et développe parfois des sentiments de vengeance, alors qu’une aide réelle pour progresser nous rendrait plus calmes, éloignerait la drogue et nous permettrait de penser et de préparer valablement l’avenir.
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  • Alex répond en posant une autre question. « Le fait d’enfermer des êtres humains 23 heures sur 24 dans 9 m2 peut-il leur être bénéfique ? Cet enfermement (souvent avec une personne inconnue) peut-il aider à réfléchir et à s‘amender en vue d’un retour réussi dans la société ? N’est-ce pas plutôt uniquement une forme de punition, de torture ? »

La prison « ne sert à rien » puisqu’on reste la journée entière inactif et privé de tout. Si on reste 10, 15, 20 ans dans ces cages avec barreaux, on ne développe que des sentiments de haine et la violence. Trop souvent, n’ayant pas les aides adéquates, on sort en fin de peine, très démunis, sans famille (elle s’est lassée et a déserté), sans logement, sans moyens, parfois sans les soins indispensables. Comment imaginer, dans ces conditions, reprendre une place dans la société alors qu’on a été déconnecté de tout ? Et comment ne pas récidiver ?

La peine devrait être utile. La prison devrait proposer un accompagnement, durant toute la détention, qui déboucherait sur un plan d’insertion, grâce à des formations ou l’apprentissage d’un travail.

Nous méritons tous une seconde chance !
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  • François

Avant, j’étais encore quelque chose, quelqu’un, j’avais un nom, mais aujourd’hui, tout ça a changé. Ce que j’étais n’existe plus, mon nom a fait place à un numéro d’écrou, à un numéro de cellule, à un dossier, je suis « détenu », je suis TFT, c’est-à-dire: Travaux Forcés à Temps, pour une durée de vingt années…

Enfermé depuis six ans, ma haine, ma révolte, ma mélancolie, mes envies de crever n’arrêtent pas de grandir en moi. J’ignore dans quel état intérieur je vais quitter ces murs. Si un jour je les quitte … Si ceux qui m’observent, si ceux qui me notent, si ceux qui analysent mes comportements et mes humeurs … le veulent!

Je ne suis qu’un corps appartenant à une institution répressive, même mes chances leur appartiennent ! Mes chances de ne pas sortir vidé, détruit, mes chances d’être psychologiquement en état de re-vivre !

Je suis le premier à reconnaître que mon acte méritait une punition qui serait avant tout une remise en question, une analyse très profonde de mon être intérieur, un temps qui devrait être celui d’une écoute sérieuse de la part de gens attentifs et responsables de mon « après », en essayant de comprendre les causes profondes qui m’ont conduit dans cette cellule pour une période de vingt ans.

Or, la prison aujourd’hui n’est qu’un enclos qui garde des corps, des vies, des blessures, des handicaps, des cris, loin de la société. La prison fonctionne de la même façon que les hôpitaux psychiatriques, que les maisons de retraite : nous sommes hors circuit pour une durée qu’eux seuls fixent et déterminent !

Lorsqu’un fruit n’a plus de jus, on le jette. C’est ce que l’on fait avec les êtres aujourd’hui. Cette triste place de délinquant que j’occupe, de criminel, d’asocial, de marginal, me donne cette image terrifiante d’être comme ces produits dont on ne se sert plus et que l’on recycle !

Je n’ai aucune envie d’être recyclé, d’être vidé de mon dedans, je veux simplement que l’on me donne la possibilité de me réaliser en ce que j’ai de meilleur pendant qu’il en est encore temps ! L’enfermement à long terme ne peut que conduire à la mort ! au suicide ! à une révolte et à une haine irréversibles !

Je pense avoir écrit ce qui me paraît le plus urgent, le plus vital !

J’ignore combien de temps je pourrai tenir. J’ignore combien de milliers d’individus il faudra détruire avant que l’on redevienne des hommes, des femmes, des enfants comme avant. Comme au tout début du monde, de la vie !

…Encore une bouteille à la mer ?
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  • Je me suis installé dans l’univers carcéral après une lourde condamnation ou plutôt je me suis adapté à lui !

C’était obligé pour gérer une dizaine d’années d’enfermement. La première nuit en prison, je ne pouvais imaginer un si long parcours entre ses murs. Je n’avais aucun repère des réalités de la détention à l’époque.

Avec le recul, si je réfléchis à mon cas, je suis plutôt un cas rare, car je ne deale pas, je ne me drogue pas, je ne joue pas, je ne trafique pas, je ne colporte pas les rumeurs… Je me lève le matin, je me lave, je mange à des heures « normales », je travaille, je n’écoute pas les conseils de voleurs, j’évite les mythomanes, je ne prête rien de précieux.

J’ai aussi constaté qu’il n’y a guère d’amis à se faire en prison. Tout est faux, éphémère. Ma plus grosse crainte c’était de perdre mon sens de la critique, de me laisser aller physiquement et intellectuellement. J’ai vu des « collègues » avoir des crises d’angoisse, après quelques années de peine, d’autres se perdre dans la toxicomanie.

Pour moi, la préventive fut très dure. Le virage de la condamnation fut plus délicat encore, avec une série de transferts qui anéantissaient chaque fois le peu de tranquillité d’installation gagnée. C’est épouvantable de jouer ainsi l’instabilité, c’est anti-constructif ! Combien de projets d’étude, de contacts durent être abandonnés. Que de souffrances mais aussi d’énergie dépensée en vain !

Ces dernières années, la prison a changé, et je crois que cela ne s’améliore guère, même si la Loi nous a amenés un statut interne et un statut pour préparer (en principe !) notre réinsertion. La mentalité devient désastreuse, côté détenu. Le matériel prime, la culture frise le zéro, la jeunesse est bruyante et revendicatrice, la promiscuité devient insupportable. Il est temps de pouvoir se donner des échéances de sortie. Car ici, sur un niveau ouvert qui pourrait être bien agréable, règnent quelques caïds qui, sans prendre la peine de travailler, exploitent des « esclaves ménagers » (qui le veulent bien, embourbés dans leur toxicomanie) pour assurer les tâches quotidiennes à la place du généreux « donateur » de doses. Quelle exploitation par les uns, quelle déchéance humaine pour les autres. Et cela avec le silence des titulaires. Qu’y a-t-il de bon de continuer à vivre dans un monde aussi faussé, aussi injuste? Qu’auront-ils appris d’honnête? Il y a grand intérêt à vivre son autonomie telle  que je me la suis fixée.
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  • Sonia :

Bien sûr, tout acte délictueux doit être puni.

La société a des règles qu’il faut respecter, les valeurs humaines ont leurs raisons d’exister et tout qui les transgresse doit être puni et comprendre ses erreurs. La détention prend alors tout son sens à condition qu’elle joue réellement son rôle et permette au détenu une réinsertion dans les meilleures conditions.

La punition doit donner l’opportunité de se remettre en question, d’avoir envie de changer et de ne plus récidiver.

Ce n’est pas en passant 22 h sur 24 en cellule, affalé dans un lit zapette (TV) en main et complètement assisté que le détenu pourra réaliser le pourquoi et l’ampleur de ses actes ainsi qu’à mettre tout en œuvre pour ne plus retomber dans les mêmes travers.

La détention doit jouer son rôle de punition mais uniquement en privant la personne de sa liberté (et non de ses libertés).

Le détenu a besoin d’avoir des espaces de parole, doit avoir la possibilité de travailler afin de s’occuper le corps et l’esprit et de pouvoir subvenir à ses besoins (car n’oublions pas qu’en prison tout est horriblement cher….), doit bénéficier de moments plus récréatifs comme des ateliers sportifs et/ou artistiques, doit avoir le loisir de s’instruire s’il en exprime le souhait. Bref, il doit avoir l’opportunité de trouver sa voie afin de reprendre un nouveau départ avec un minimum de risques !

Tout cela peut sembler utopique et pourtant je peux vous assurer que c’est une réalité ; de là à dire que c’est réalisable… disons que ça dépend de pas mal de paramètres et notamment du bon vouloir et de la bonne volonté du personnel pénitentiaire.

Un autre point essentiel est le respect des dates d’admissibilité. Pourquoi faire miroiter une date de libération possible si on ne met pas tout en œuvre pour que celle-ci soit respectée ? N’oublions pas que la surveillance électronique ne signifie pas une fin de peine mais simplement une autre modalité de l’exécution de celle-ci. Elle est la suite logique des permissions de sortie et des congés pénitentiaires. Comment juger un futur comportement sans donner la possibilité de mettre celui-ci à l’épreuve ?

Donner des permissions de sortie, des congés pénitentiaires et les surveillances électroniques dans des délais raisonnables permet au détenu de croire en la justice, à l’efficacité et à l’utilité de sa privation de liberté et surtout d’éviter qu’il bascule dans une colère qui risquerait de réduire à néant l’utilité de mois et d’années de détention.

Il est plus simple d’accepter une peine sévère qu’une détention jonchée d’injustice(s) !

Je tiens toutefois à ajouter que ma détention m’a permis de rencontrer quelques personnes formidables et entièrement dévouées grâce auxquelles j’ai pu accepter ma peine et évoluer de façon positive et épanouie malgré l’endroit !

  Les commentaires des associations belges AVFPB et CSPL

Depuis plusieurs années, la population carcérale voit se concentrer sur elles toutes les animosités dont l’opinion publique n’est jamais avare. L’homme de la rue a très vite tendance à « mettre tous les détenus dans le même panier ». Mais les hommes politiques ne devraient-ils pas faire montre de plus de discernement ?

Des éléments dramatiques et certains procès médiatiques poussent l’opinion publique à réclamer plus de fermeté dans le prononcé des condamnations et dans l’exécution des peines. Mais faut-il ainsi pénaliser collectivement l’ensemble des condamnés et faire subir à tous les détenus des condamnations de plus en plus lourdes, des peines de plus en plus longues, des libérations conditionnelles de plus en plus rares ? C’est pourtant le programme dans lequel s’engage le gouvernement qui persévère dans l’accroissement de la sévérité.

Nombreux sont pourtant les criminologues, les psychologues, les avocats, …qui dénoncent les effets pervers du régime carcéral.

Comme intervenants bénévoles en prison, nous savons combien la prison peut faire d’énormes ravages chez des personnes fragiles ou fragilisées. Elle peut être dévastatrice pour des êtres influençables, instables, ou simplement paumés, en décrochage scolaire et social. Et il y en a beaucoup derrière les grilles !

La prison, système coercitif (parfois à l’excès), loin de relever ou de remettre debout, infantilise la plupart du temps. Le détenu s’installe dans une sorte de dépendance, perd l’habitude de décider et de penser par lui-même et perd ainsi tout contact avec le réel. Le jour où il sortira, il sera au mieux un « minimexé » à vie, au pire un révolté qui aura pris la société en grippe. Un inadapté dans tous les sens du  terme et la récidive lui tend les bras.

Des études montrent qu’au moins un tiers des détenus sont drogués non seulement au cannabis ou aux médicaments mais de plus en plus souvent à l’héroïne. Et tous n’étaient pas toxicomanes au départ. Ils le sont devenus en prison par désœuvrement, par désespoir ou par émulation. Et il serait bien surprenant qu’ils arrêtent de se droguer lorsqu’ils seront libérés.

Le problème n’est pas simple, il faut en convenir. Mais allonger sans arrêt les peines et le temps d’emprisonnement et faire croire au public que plus de répression amène plus de sécurité est un leurre.

La Belgique devrait revoir le système carcéral dans son ensemble pour le rendre plus cohérent et en adéquation avec les recommandations ou injonctions européennes et en phase avec le XXIème siècle.

La prison devrait être la peine ultime !