Tu annonceras ma parole. Notre Fraternité dans les pas du Père Aubry
Week-end du Bon Larron – 16/17 octobre 2021

 Interview de Suzanne Pataille qui accompagna le père Yves Aubry jusqu’à sa mort par Jacques Guinault

Jacques :

Heureux Suzanne de te rencontrer chez toi, merci de nous accueillir. Le 16 et 17 octobre prochain nous avons notre rencontre habituelle du Bon Larron. Ce sera, à un jour près, le centième anniversaire de notre fondateur le Père Aubry. Nous nous souviendrons des paroles du Père Aubry et de son œuvre, mais aussi de ce qu’il nous a laissé pour aujourd’hui et pour demain. L’un des témoins privilégiés, c’est toi Suzanne, puisque tu l’as côtoyé très longtemps.

Je te laisse la parole en te demandant tout simplement : comment l’as-tu rencontré ? Et qu’as-tu fais à ses côtés ?

Suzanne :

Quand le Père Aubry est arrivé à Mantes La Ville, devant le Sacré Cœur en bois et assez délabré, il a dit : il faut faire autre chose que ça. A l’époque pour les jeunes il n’y avait rien. Alors on en parle et finalement il monte ce « Nouveau Sacré Cœur en pierres ». C’est aussi là que je me suis mariée. Il nous a permis de nous retrouver à plusieurs au sein de la JOC. Pour moi, cela s’arrêtait là. Il était curé de la paroisse, je ne me souviens plus pendant combien de temps cela a duré.

Ensuite l’évêque l’a envoyé à la prison de Bois d’Arcy. Quand on avait du temps, avec mon mari, on allait l’aider dans son travail. Petit à petit, il m’embauche pour faire les comptes rendus des prisons, comme il en parle dans ce livre. Plus j’y allais et plus cela me plaisait. J’ai commencé à lui rendre des services, mais en dehors de mon travail, car j’étais régisseur à la sous-préfecture de Mantes. Je ne voulais pas lâcher mon travail pour autant. Je n’y allais que dans mes moments de liberté, pour l’aider. Il habitait Versailles à l’époque, puis l’évêque lui a fait construire une maison à Auffargis. Je n’étais pas très intéressée d’aller à Auffargis, mais finalement, comme je conduisais encore à l’époque, j’y suis allée. J’ai continué à l’aider à Auffargis.

Petit à petit cela a pris de l’ampleur. Il me demandait de prendre des notes, de l’accompagner sur des week-ends ; mais cela me plaisait. Je ne lâchais pas mon travail pour autant car ce n’était que pendant les week-ends. Donc voilà, à Auffargis on a continué comme cela. On faisait aussi des week-ends ailleurs. On se déplaçait dans toute la France, j’y participais aussi. Il y avait des responsables dans différentes régions qui s’occupaient de la préparation des week-ends.

Un jour le Père me demande si je souhaitais être visiteuse. Je ne savais quoi répondre, et j’ai risqué le coup en disant : Pourquoi pas. J’ai donc été visiteuse à Bois d’Arcy. Les gars que je visitais m’étaient plutôt familiers parce qu’ils venaient voir le Père Aubry lors de leurs permissions. Mais pour certains il fallait faire attention. Ils n’étaient pas tous francs, ils te réclamaient parfois de l’argent. Une fois, l’un m’a attrapé par le col, mais je n’ai pas cédé et il n’a pas insisté, surtout que je le connaissais.

L’aventure d’Auffargis a continué. Parfois je restais coucher le soir, dans une chambre pour moi. Mais je ne m’occupais pas de la maison ; c’était une autre femme qui s’en occupait ; elle avait été malheureuse dans sa jeunesse et avait accepté de s’occuper de la maison et des repas. Personnellement j’en avais assez avec ce que le Père me demandait, mais j’étais contente, je l’avais rencontré jeune. Je savais faire les comptes-rendus qu’il me demandait, j’étais aussi à la JOC.

Jacques :

D’une certaine manière tu étais devenue sa secrétaire, son chauffeur, bref tu étais là en permanence.

Suzanne :

Oui à la fin. Quand il est tombé malade, il ne pouvait plus conduire. Je l’accompagnais dans toutes ses réunions. Mais c’était enrichissant. Je me suis enrichi auprès de lui.

Jacques :

Oui bien sûr puisque tu accompagnais un homme de feu. As-tu une anecdote à nous raconter au sujet du Père ?

Suzanne :

Son dynamisme et sa manière de s’adresser aux détenus ; ce n’était pas le même dialogue qu’avec les paroissiens. Mais il était tellement à l’aise. Il ne faut peut-être pas le dire, mais il me disait pour certains ce qu’ils avaient fait, cela pour me mettre en garde moi aussi.

Jacques :

On dit aussi en parlant du Père : « Tu annonceras ma parole à temps et à contre temps ». Y-a-t-il eu des conversions dans cette annonce de la bonne nouvelle ?

Suzanne :

Oui, surtout dans les prisons, beaucoup plus qu’à l’extérieur. Il y en a eu beaucoup, mais je ne saurais plus dire les noms. Il avait cette façon d’annoncer l’Evangile qui touchait; on retrouve cela aussi dans son livre. C’est un livre qu’on a fait ensemble – grand sourire de Suzanne –

Jacques :

Et, dans ce livre, sans te citer, il parle un peu de toi, non ?

Suzanne :

Surement, on l’a fait ensemble, mais je ne me rappelle plus.

Jacques :

Peux-tu nous lire ce passage ou l’on parle de toi. (Page 149.)

Suzanne :

C’était donc un détenu qui sortait, mais il se sentait condamné par le SIDA. On était autant de laïcs que de prisonniers à cette rencontre. « Je viens d’obtenir une permission de l’hôpital, mon Sida parvient à son stade terminal, dans un mois je serai mort. Je viens vous remercier de m’avoir chaleureusement entouré et surtout je veux que vous vous réjouissiez avec moi. Si vous saviez comme je suis heureux » C’est vrai on sentait qu’il était heureux ce n’étaient pas que des mots. « Dans un mois je serai avec Jésus, dire qu’il fallait que j’en arrive là pour trouver la joie et le bonheur. Quelle joie »

Puis il s’est assis au milieu du groupe de prière, le visage décharné certes, mais doté d’une lumière rayonnante. Il s’approcha de l’une d’entre nous dont il avait déjà saisi la main. – c’est de moi qu’il parle ici – Il me murmura, sur un ton de confidence : « Si tu savais comme je suis heureux. » Ce fut sa dernière parole parmi nous – émotion de Suzanne –

Un mois après, il bondissait dans la joie de son Seigneur, après de longs séjours en prison et 40 ans d’une vie de chaos, de souffrances imposées à lui-même et à tant d’autres de son entourage. Pour tous ceux qui étaient là, son image demeure comme une icône de miséricorde. Quelle similitude avec celui de Carla, peu avant son exécution aux Etats Unis, dont nous allons rapporter le témoignage maintenant.

Jacques :

Merci de ton témoignage, c’était sans doute un parmi beaucoup d’autres…

Suzanne :

Oui, d’autres, déjà sortis, sont venus me dire merci aussi. Mais pas de cette manière, dans la cour d’Auffargis par exemple. J’ai conservé des contacts avec certains, mais maintenant je n’en n’ai plus.

Jacques :

Tu nous disais tout à l’heure que vous vous déplaciez souvent pour faire des week-ends. Est-ce à dire que le Bon Larron rayonnait sur toute la France ?

Suzanne :

Oui, c’était l’affaire du Père qui se débrouillait à offrir des week-ends dans les régions avec des laïcs qui s’intéressaient à cela. Cela se traduisait plus par des groupes de prières que par des visites en prison. Eric Desaleux travaillait avec nous, Paul Robert également. Mais les autres noms ne me reviennent pas.

Si vous me demandez de faire un vœu : aujourd’hui il n’y a plus de week-end en région, il faudrait que d’autres s’y mettent, parce que nous sommes maintenant trop âgés pour le faire.

Jacques :

La spiritualité dont on parle était basée d’abord sur la prière puis la correspondance

Suzanne :

Odile y est toujours ?

Jacques :

Oui, et puis l’accueil des sortants de prison à Auffargis. Est-ce que ces trois orientations correspondent bien à l’esprit du Père Aubry ?

Suzanne :

Oui, bien sûr. Je ne vois pas autre chose.

Jacques :

Le Père Aubry avait même un rayonnement international. Il a rencontré des gens au Canada

Suzanne :

Oui, j’y étais aussi. Aux Amériques, avec Charles Colson. Puis aussi à Madagascar, grâce à une personne du groupe qui connaissait bien Madagascar, c’était Monique Gallerne. Sans doute est-elle toujours de ce monde, finalement les souvenirs me reviennent.

J’ai été avec le Père Aubry jusqu’à la fin. Quand il a été hospitalisé, il m’a demandé d’être avec lui, dans une chambre à part bien sûr, mais il m’a fallu y être. Puis le jour de son enterrement, il m’a demandé de lui mettre son aube, je ne m’attendais pas à cela, cela m’embêtait, mais je l’ai fait.

Merci à tous les amis du Bon Larron, je vous salue tous et vous souhaite une bonne continuation. De la part de Suzanne. A bientôt.

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